«L'âge de raison n'est pas un bon âge. On est obligé de composer avec la vie, on a pris cons-cience que l'âge de déraison de la jeunesse ne peut plus continuer. À l'âge d'horizons, on entre dans une liberté nouvelle parce qu'on n'a plus rien à perdre. C'est un nouvel âge de déraison d'une certaine manière. Il y a de la liberté dans l'air!»
Serge Lama offre ses premières nouvelles chansons depuis sept ans, en abordant les thèmes qui lui sont chers, comme les amours brisées, les airs coquins et la mort qui vient. Quand il chante «qu'il arrive à l'heure où le bonheur n'est qu'un slogan» et «que sa vie s'éloigne à vue de deuils», on a tendance à penser que la tristesse dans ses paroles est inhérente au temps qui passe trop vite.
«Mais j'ai écrit des chansons qui disaient ça à 25 ans. J'ai toujours été comme ça. Dès que j'écris des chansons tristes, les gens ont l'impression que je suis démoralisé, mais j'ai toujours été comme ça; à 15 ans c'était déjà dans mon caractère», dit-il.
Évidemment, le grave accident de voiture qui a brisé son corps et tué son premier amour en 1965 a pu accentuer la présence de la mort dans son esprit. Mais, précise-t-il, le drame a aussi relancé sa force de vie.
«Ce n'est jamais noir ou blanc dans la catastrophe. Dans la victoire, il y a la défaite et dans la défaite, il y a la victoire. Et parfois, il y a plus d'enseignements dans une défaite, car elle vous prépare à la victoire.»
Sur son nouveau disque, Serge Lama chante la fin de la vie, mais aussi la mort de la culture, cannibalisée par l'image et la rapidité. «Le dictionnaire perd ses mots/Les anciens livres se suicident/Les bibliothèques se vident/On redevient des animaux.»
Se peut-il que l'homme, quand il avance en âge, ne voit toujours dans la jeunesse que son ignorance? «À toutes les époques, on se dit c'était mieux avant parce que c'était sa jeunesse. Mais depuis la moitié du XIXe siècle, le changement se fait en permanence et on n'a jamais vu les choses changer à une telle vitesse. Les gens n'ont pas le temps de tout apprendre, donc ils n'ont plus le temps d'apprendre le passé. On tue le passé et un monde sans passé n'a plus d'avenir. Je ne rigole pas, les jeunes ne savent plus si c'était César ou Napoléon en premier. On va vers une inculture générale que je n'ai jamais vue depuis que je suis né.»
Serge Lama, qui manie la plume avec une admirable verve poétique, s'inquiète de l'évolution du vocabulaire, qui rétrécit, qui se perd dans des mots courts, dans l'imprécision, dans le grosso modo.
«L'appauvrissement de la lan-gue est un appauvrissement de l'âme aussi», dit-il.
Celle de Serge Lama brille comme la richesse car il la polit depuis tout petit. Bien avant la chanson et la scène, il a trouvé dans les mots la motivation de sa vie. Après avoir longuement pris le temps d'écrire, il reprend la route des concerts en mars, pendant quelques semaines, et puis pendant des mois à l'automne.
«Je suis plus à l'aise sur scène que chez moi. Je suis maladroit dans la vie et à l'aise sur scène. Quand je suis bien dans mon corps, quand je suis dans un état de grâce ? ça peut durer une demi-heure ?, c'est une sensation extraordinaire», raconte-t-il d'une voix qui s'adoucit, qui se fait rêveuse.
Si tout va bien, Serge Lama souhaite venir chanter au Québec en 2010. Comme il a été «élu» ici avant la France, le public d'ici lui rappelle des souvenirs heureux.
«C'est mon corps qui décidera de ce qui arrive. Il ne fait plus tout ce que je veux, mais tant qu'il tiendra, j'essaierai de tenir les rênes et de réaliser mes promesses.»