Il y a neuf mois, j’interviewais sa grande amie Marie-Paule Belle, qui m’a parlé du Lama qu’elle connaît, de sa sensibilité féminine. Deux ans plus tôt, Marcel Amont qui l’a vu démarrer et renaître après l’avoir connu au plus bas, m’avait fait l’honneur de répondre à mes questions. Amont. Belle. Lama. Trois personnalités que je place dans la même famille, belle et exigeante, de ces artistes généreux, authentiquement populaires mais qui n’ont pas toujours été considérés par la critique comme ils devraient l’être, pour peu qu’on creuse un peu.
Peu avant que je diffuse cet article, Serge Lama m’a fait parvenir ces quelques mots qu’il venait d’écrire exprès à propos de Françoise Hardy, évoquée dans notre interview et décédée entre temps : « La disparition de Françoise m’a profondément touché. C’était un personnage hors norme, une personnalité tranchante, elle savait exactement ce qu’elle voulait et ce qu’elle ne voulait pas. J’étais amoureux d’elle à l’époque des garçons et des filles et des amis qui tombaient des nuages. J’aurais voulu tomber de ces nuages-là. Mais elle était en même temps très mode, très branchée et pourtant on s’est fréquenté à une époque, elle m’avait même interviewé. »
Réécoutez Lama. Lisez-le. Aimez-le et dites-le lui, il est encore là pour l’entendre. Merci Frédéric, pour cette révélation. Merci à Matthieu Moulin pour son texte inédit. Merci Luana pour votre bienveillance. Merci à vous, monsieur Lama, pour votre générosité : gardez cet appétit du gamin des Ballons rouges, continuez, encore et encore ! Bonne lecture ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU (28/03/24)
Serge Lama : « Je pense avoir fait
plus encore que ce que j’ai voulu... »
Serge Lama, bonjour. Je suis très heureux de pouvoir avoir cet échange avec vous aujourd’hui. Comment allez-vous ?
Je vais bien. Je vais très bien, même. Je travaille sur des projets divers mais je ne veux pas trop en parler pour le moment. J’ai la femme que j’aime près de moi, j’ai un chat merveilleux. Vraiment tout ce qu’il faut pour être un homme heureux.
Parfait. Ma première question, d’actualité, portera sur quelqu’un d’autre, qui vient lui aussi d’annoncer qu’il arrêtait la scène : Michel Sardou, auquel on vous a souvent comparé, opposé peut-être, notamment dans les années 70. Il aura été quoi, un rival ? Un bon camarade ?
(Il hésite) Disons qu’on était concurrents, parce que les médias nous ont mis en concurrence dès nos débuts. Michel, c’est une voix et moi j’étais une voix, différente, mais une voix aussi. Ce sont beaucoup les médias qui ont mis en avant une forme de rivalité, souvent la concurrence se fait de l’extérieur. Les caractères des uns et des autres font ensuite que ça va prendre une tournure ou une autre. Michel est comme il est, moi je suis comme je suis. Pour vous dire une chose simple, j’ai été le voir une douzaine de fois, quand je le pouvais, lui est venu me voir une fois. Parce que c’était lui, parce que c’était moi...
Très bien. On va parler de vous maintenant, et d’abord d’un épisode tragique. Votre terrible accident survenu en 1965, qui a notamment coûté la vie à votre fiancée de l’époque Liliane Benelli, aurait pu d’après vos propres mots vous « foutre par terre » pour de bon. À ce moment-là, il y a eu une longue rééducation, disons même reconstruction, avec un vrai élan de solidarité de la part du métier, des artistes comme le regretté Marcel Amont, Barbara ou encore Régine, qui ont donné un spectacle dont les fonds vous ont été reversés. Le show-biz, à compter de ces épisodes-là, le métier en général, humainement parlant, vous les avez regardés avec bienveillance ?
Ah, je veux oui ! Après mon accident, un ami, Marcel Gobineau (mon ami, mon maître) m’a accueilli chez lui, on n’avait pas beaucoup de sous. J’en avais un petit peu, mais pas suffisamment pour tenir comme ça, aussi longtemps. Tout à coup, sous l’impulsion de Régine qui, il faut le dire était une maîtresse femme, et aussi de Barbara qui était à L’Écluse et a remué ciel et terre, il y a eu un spectacle de folie ! Une affiche pareille, même si on l’avait voulue, ça aurait été impossible. C’était impayable, si j’ose dire (rires). Brassens, Barbara, Enrico Macias, Sacha Distel, Pierre Perret et d’autres. Après le spectacle, ils ont tous débarqué dans le petit appartement de Marcel, ils ont défilé, les uns après les autres, c’était très émouvant... Alors, forcément, ça ne remplaçait pas tout ce qu’on avait perdu, le frère d’Enrico Macias, Liliane... Les amours de 20 ans « ne se remplacent guère », comme disait Barbara. Il y a quelque chose de fatal dans les amours brisées à 20 ans. Parce qu’on n’a pas l’expérience. Parce qu’on n’a pas les défenses. On n’a rien pour lutter contre. C’était terrible...
Je peux bien l’imaginer... Ce qui frappe, quand on regarde votre parcours, à partir de cet accident, c’est cette niaque un peu hors du commun qui vous a animé. Le biographe Frédéric Quinonero a mis en avant votre « rage de vivre ». Cette rage de vivre, vous l’avez toujours eue en vous, ou bien avez-vous eu la tentation de vous laisser partir ?
Non, jamais cette chose-là ne m’est venue à l’esprit... J’ai été très malheureux, au fond du trou. Mais oui, j’avais la niaque. Il y avait quelque chose en moi qui « voulait ». Je m’étais persuadé que j’allais me remettre, bien que tous les médecins m’aient assuré que c’était impossible. Ils me disaient de me mettre ça dans la tête, qu’il me faudrait trouver d’autres issues à ma vie. Moi je leur ai répondu que c’était possible, et que ce serait comme ça. Je me suis vraiment battu, malgré ma jambe gauche qui ne répondait pas et qui n’a jamais répondu. Je suis remonté sur scène. Et j’ai fait la carrière que vous connaissez. Je ne sais pas si c’est une question de « volonté », c’est un mot qu’on emploie un peu facilement, mais je pense qu’il faut avoir la niaque.
Je trouve que cette niaque, vous l’incarnez comme peu de gens, et comme peu d’artistes en tout cas. Et c’est très inspirant...
À cette période-là, il est indéniable que j’ai tapé du pied comme le plongeur qui, arrivé au fond, tape du pied pour sortir de l’eau. Et je suis sorti de l’eau, voilà !
La souffrance, vous en avez parlé...
Je me suis arrêté parce que je ne peux plus me tenir debout très longtemps. Je pourrais faire une chanson avec toutes les choses que je ne peux plus faire, qui s’appellerait Je ne peux plus. Je ferais une énumération, un truc à la Prévert, un inventaire, sans compter tout ce qui me fait mal. J’ai un orgueil qui est, je pense, aussi bien placé que possible, et donc je ne voulais pas me montrer à mon public en étant moitié assis moitié debout. Quelque chose comme ça, moi, ça ne me convenait pas.
On va y revenir tout de suite, à votre orgueil. Mais je veux vous amener sur une question d’actualité. À propos de cette vie malgré la souffrance, ça vous parle ces débats de plus en plus insistants sur la fin de vie, sur la manière d’accompagner les gens pour qu’ils ne souffrent pas trop ?
Moi je trouve qu’on devrait laisser les gens tranquilles. Je sais qu’il y a de bons sentiments qui se mettent autour de tout ça, et tout le monde n’a pas la chance d’être à ma place, d’avoir ma situation. Mais je dois dire que je suis catholique, je suis chrétien, « Voilà ma gloire, mon espérance et mon soutien » (rires), et que c’est une chose que je ne peux pas concevoir, même à mon âge. Je trouve que ce n’est pas forcément bien. La vie c’est la vie, on vous la donne, c’est extraordinaire, et tout à coup on aurait cette prétention en tant qu’être humain de vous l’arracher en mettant en place, presque comme quelque chose de normal, qu’on vous « suicide », pour partir « dans de très bonnes conditions ». Je ne trouve pas ça bien. Diminuer la souffrance, oui, mais supprimer la vie, non.
Je peux comprendre votre point de vue.
Vous êtes jeune, donc vous devez penser que c’est très bien. Moi qui suis vieux, je trouve que ce n’est pas bien.
>>> Les Ballons rouges <<<
Est-ce que le gamin provincial d’extraction modeste des Ballons rouges, une de vos chansons les plus emblématiques, ce gosse « plus orgueilleux » qu’un roi, ça a été vous ?
Oui, je pense que je l’ai été, longtemps. Moins par la suite. Mais pendant longtemps, j’ai été porté, presque par une violence intérieure qui m’a poussé vers le haut. Je voulais réussir, à mes débuts je le disais à tous les vents, à qui voulait l’entendre. « Je réussirai, vous verrez ». Après mon accident, je le disais avec encore plus de force. Et je m’en suis sorti, je crois, grâce à cette volonté qui a permis que ça se passe comme ça.
D’abord l’orgueil d’un gamin, puis celui de se relever après l’accident.
Oui mais après, cet orgueil, une fois que vous commencez à avoir vos premiers succès, ça se mue en volonté. Ce n’est pas tout à fait la même chose. À partir de ce moment-là, vous avez la volonté d’aller soit plus haut, soit, plus tard, d’aller ailleurs, d’essayer, de tenter des choses. Ça a été une folie de faire Napoléon par exemple. Je l’ai fait sur un coup de tête, et ça a été un succès. C’est même la période, je le dis souvent, la seule période où je me suis senti « star ». Pendant Napoléon, j’étais reçu partout, j’ai eu tous les honneurs... C’était comme si on me confondait avec lui. J’ai bénéficié de cet état d’humeur général. Plus tard, pour certaines chansons, j’ai tenté des choses qui étaient risquées. J’ai parlé de l’âge, du mien, alors que les gens détestent ça, ils veulent toujours rester jeunes, et moi j’en parlais volontiers. Il y a une chanson qui s’appelle J’arrive à l’heure, que j’aime beaucoup : elle parle de l’âge sans voile, sans tabou, de manière assez crue.
>>> J’arrive à l’heure <<<
D’ailleurs à propos de Napoléon, vous dites que vous avez été starifié à ce moment-là, très associé à lui, est-ce qu’à cette période vous n’avez pas risqué de perdre pied ?
Je le confirme, Napoléon est un personnage dangereux ! Quand vous jouez tous les soirs un mec qui tape du pied... Qui d’ailleurs est le contraire de ce qu’on voit dans le film de Ridley Scott, qui pour moi n’est pas bon du tout, hélas. Heureusement qu’il en a fait d’autres - je préfère Thelma et Louise -, là ce qu’il a fait avec Napoléon, avec beaucoup d’argent j’imagine, c’est un gâchis. Pour en revenir à votre question, oui, Napoléon est un personnage clivant, même pour soi effectivement. Il faut s’en remettre. Mais ça m’a fait connaître un métier que je ne connaissais pas, la comédie – parce que je faisais le comédien dans Napoléon -, métier que j’ai continué à exercer un peu ensuite, et qui m’a appris beaucoup de choses qui m’ont servi par la suite pour mon métier de chanteur.
J’évoquais il y a un instant une bio qui vous a été consacrée. Vous avez écrit la vôtre récemment. Est-ce pour rétablir des vérités par rapport à des choses fausses qui ont pu être écrites ?
Non je n’ai jamais écrit d’autobiographie. En 2021, les éditions Beaux-Arts m’ont demandé de réagir à des tableaux de maîtres en relation avec mes textes de chansons, et de dire avec ma spontanéité et mon naturel, n’étant pas un spécialiste de l’art, ce que je voyais, ce que je ressentais. En ouverture de ce livre, il y a une cinquantaine de pages qui retracent les moments clés de ma vie mais ce n’est pas une biographie à proprement parler. J’ai écrit des choses dans des livres, tous mes textes de chansons ont été publiés, mais je n’ai jamais vraiment écrit d’autobiographie.
Très bien... Mais rétablir vos vérités sur les choses parfois fausses qui peuvent être écrites sur vous, c’est important ?
Oui, il y a parfois des choses fausses... Enfin, la dernière biographie non officielle qui a été faite était plutôt bonne, plutôt juste. Mais on ne connaît pas la vérité d’un homme en le racontant. Ils ne parlent que de l’artiste, parce que c’est celui qu’ils connaissent, mais les comportements, la joie de vivre, les sorties le soir, des choses comme ça, ils ne peuvent pas en parler. Ils ne peuvent pas parler de l’intime parce qu’ils ne le connaissent pas. Je suis le seul à le connaître. Ma vérité, elle est là. Cette vérité, je ne sais pas si je l’écrirai un jour. Il faudrait que le ciel me donne beaucoup de temps, parce que j’ai tellement de projets que certains d’entre eux vont capoter, c’est sûr.
>>> Maman Chauvier <<<
J’espère bien que la plupart d’entre eux seront menés jusqu’à leur terme ! Question bio justement : est-ce que l’histoire entre votre père et votre mère, mère à laquelle vous avez d’ailleurs dédié une belle chanson, Maman Chauvier, a influé sur votre rapport avec les femmes ? Est-ce que vous vous êtes dit : « Jamais une femme ne me fera renoncer à mes rêves » ?
Oui, ça je me le suis dit... Qu’aucune femme ne m’enlèverait mon rêve.
Et vous diriez que les rapports qu’ils ont entretenus ont influé sur vos propres rapports avec les femmes en général ?
Je pense que oui, parce que tout répond à tout. Tantôt c’est le père qui est trop ceci, tantôt c’est la mère qui est trop cela... Je vois bien dans les bios des autres, de gens beaucoup plus importants que moi, l’importance de toutes ces choses. Avec ma mère, c’était surtout conflictuel dans le sens où on ne se comprenait pas. Je pense qu’avec elle, on s’est un tout petit peu compris à la fin de sa vie. Mais jamais vraiment. Avec mon père c’était différent, on faisait le même métier. Il avait choisi le métier que j’aimais, on pouvait parler sur le même plan. J’aimais mon père, et c’est vrai que ma mère l’a empêché de continuer sa carrière, à tort puisqu’il aurait pu vivre de son métier malgré tout ce qu’elle lui disait. Elle aurait pu le laisser partir en tournée par exemple, mais elle ne voulait pas, parce qu’elle était jalouse. Il n’est jamais vraiment parti en tournée...
On va l’évoquer justement. Vous avez souvent rendu hommage à votre père, Georges Chauvier, sur scène et sur disque. Savez-vous ce qu’il a ressenti face au succès phénoménal que vous avez connu ? Est-ce que ce succès, vous l’avez accroché aussi pour lui ?
(Un peu ému) Oui. Là, c’est de l’ordre du sentimental. Je l’ai fait pour lui aussi. Pour moi, mais aussi pour lui. Un instinct que j’ai eu, je l’ai fait chanter juste avant sa mort... Je devais sentir qu’il se passerait quelque chose. Il est mort en décembre 1984, et nous avons chanté ensemble en février 1984, au Grand Rex à Paris, où j’ai fêté mes vingt ans de carrière puis en tournée, ça a été chouette. Il était encore fringant.
>>> Non, mon fils n’aura pas d’enfant <<<
C’est vraiment chouette que vous ayez fait ça ensemble !
C’est incroyable même. Merci, je ne sais pas à quoi ou à qui, mais merci de m’avoir permis de donner à papa cette joie de monter sur scène, d’être applaudi, d’être considéré, là où ma mère l’avait toujours écrasé. J’ai permis qu’il soit mis DEVANT, voilà.
C’est très bien que vous l’ayez fait, à ce moment-là... J’ai interviewé en novembre dernier Marie-Paule Belle qui m’a parlé de vous avec tendresse...
Ma chère Marie-Paule ! C’est une femme extraordinaire, qui a dû tout vous raconter dans les détails. Elle est venue sur de grosses tournées, tout à coup elle se retrouvait devant de très grandes salles, seule au piano. Je la regardais et je me disais que cette fille avait quelque chose que n’avaient pas les autres. Quelque chose d’exceptionnel, de fascinant avec ses musiques, ses textes... Tous les soirs, parce que c’était ma façon d’être, je m’asseyais sur le côté et je regardais les autres chanter, faire leur numéro, j’étais content (rires). On se faisait des gags, c’était sympa. On a passé de bons moments ensemble...
Elle m’a parlé de votre sensibilité « féminine » alors même que vous aviez une image assez macho, c’était aussi l’époque. Est-ce que vous n’avez pas quelque part un peu caché cette sensibilité derrière un personnage qui n’était pas complètement vous ?
Oui peut-être... Pas dans les textes forcément, parce que cette sensibilité-là on la retrouve dans certains textes, mais oui probablement. Marie-Paule voit les choses justement, et comme elle le dit, j’ai sûrement une grosse sensibilité féminine.
>>> Le 15 juillet à cinq heures <<<
Et justement est-ce qu’à cet égard vous ne regrettez pas finalement que, songeant à vous, on cite beaucoup plus fréquemment Femme, femme, femme que Le 15 juillet à cinq heures, Une île ou, autre chanson d’une grande sensibilité, L’enfant d’un autre ?
Femme, femme, femme, c’est une chanson que je ne regrette pas. C’est un hymne à la femme. Il y avait des choses dans mon comportement qui pouvaient être machistes, tous les hommes l’étaient un peu. Aujourd’hui c’est différent, et encore je ne sais pas, il faudrait que je voie plus de gens pour me rendre compte de ce qu’il en est. À l’époque, on était presque élevés là-dedans...
Bien sûr. S’agissant de ma question, évidemment que Femme, femme, femme est une belle chanson, mais ce que je veux dire, c’est qu’il est dommage peut-être qu’on vous associe moins spontanément à ces chansons que j’ai citées ?
C’est sûr que je le regrette, je vous le dis franchement. Mais c’est comme ça : le public avait besoin de cette chose que je lui donnais en plus. Cela dit, le public aimait Le 15 juillet à cinq heures, il aimait aussi L’enfant d’un autre, qui a été un succès et pour mon public, une chanson importante. Mais, il avait besoin d’entendre aussi le Lama joyeux drille, alors je ne pouvais pas ne pas lui donner ce qu’il me demandait. Je ne pouvais pas être que Le 15 juillet à cinq heures.
>>> L’enfant d’un autre <<<
Et par rapport à ces textes, à leur sensibilité, avez-vous dû batailler parfois contre une forme de pudeur qui vous aurait fait buter face aux mots d’une chanson ?
Je pense que j’osais dire les choses. Mon problème, c’était plutôt que j’osais TROP dire. C’est sans doute ce que veut dire Marie-Paule d’ailleurs : parfois je débordais du cadre. J’ai sans doute osé plus parfois que j’aurais dû.
Quelles sont, parmi votre vaste répertoire, les chansons qui vous ressemblent le plus ? Celles que vous recommanderiez à qui voudrait découvrir Lama ?
Celles que vous avez citées, déjà. La chanteuse a vingt ans aussi me représente véritablement. Alors que Les p’tites femmes de Pigalle... non. Vous savez, au départ, c’était une chanson triste.
>>> Les p’tites femmes de Pigalle <<<
L’homme est quitté par sa femme, elle est tendre...
Oui, mais au départ elle était encore plus triste que ça. Mais quand Jacques Datin (le compositeur de la chanson, ndlr), sur la base de mon texte, m’a présenté sa mélodie (il entonne le refrain enjoué tel qu’on le connaît, ndlr), j’ai trouvé ça chouette, gai, plein de vie, j’ai donc repris mon texte, qui était beaucoup plus triste que celui que vous connaissez, et on en a fait une chanson joyeuse. C’est un peu l’histoire du mec qui prend les choses du bon côté. Alors que dans ma version de départ, il ne les prenait pas du bon côté...
>>> Et puis on s’aperçoit <<<
Et vous citeriez aussi, j’imagine, Je suis malade et D’aventures en aventures ?
Oui, bien sûr. Une île, vous l’avez dit. L’Algérie... Souvenirs, attention, danger !, c’est une chanson que j’adore. Et puis on s’aperçoit, qui a été une chanson majeure de mon tour de chant, je la chantais presque à chacun de mes tours. Seul, tout seul, celle-ci, après l’avoir écoutée, vous vous pendiez ! C’est bizarre mais cette chanson, les gens lui faisaient un triomphe, sur scène.
Justement, par rapport à la scène, comment qualifieriez-vous les liens qui, notamment sur scène, vous ont uni à votre public ? Et est-ce qu’il y a quelque chose de charnel à dompter un public ?
Je ne le « domptais » pas. C’était plutôt de l’ordre de l’affectif. Je le prenais par les sentiments, si vous voulez. Parfois par le colback, dans des chansons comme Les p’tites femmes de Pigalle ou comme Femme, femme, femme. Mais la plupart du temps, je les prenais par les sentiments, par la sensibilité. Je les prenais par ce qu’ils avaient EUX en eux. Quand vous êtes sur scène, il y a évidemment le texte de la chanson que vous avez écrit, mais l’interprète va l’adapter selon le public du soir. On « sent » le public, ça c’est difficile à expliquer quand on ne fait pas ce métier, mais vous sortez davantage telle chose parce que vous sentez que ce soir-là, le public est comme ça, qu’il a envie de ça. Vous, vous êtes là pour faire don de votre personne au public.
>>> Mon ami, mon maître <<<
C’est une belle réponse aussi... Vous avez écrit pour Marcel Gobineau une des plus belles chansons qui aient été écrites sur l’amitié, Mon ami, mon maître. L’amitié, une valeur cardinale pour vous ? Aussi forte que l’amour ?
Bien sûr. Vous savez, quand on est jeune, on a des copains, c’est important les copains, c’est le début de l’amitié. Comme c’était un homme plus âgé que moi – il avait 30 ans de plus que moi -, c’était comme un père pour moi, un guide qui m’a emmené vers les plus belles voies possibles. Il avait aussi son tempérament et, comme moi j’écoutais tout ce qu’il disait, j’ai parfois fait ou dit, à cause de lui, des choses que je n’aurais pas faites ou dites si j’avais été seul. Mais ce fut vraiment un père spirituel pour moi.
Il y a cette chanson que vous avez citée tout à l’heure, au texte fort et à la mélodie envoûtante, que j’ai eue dans la tête une bonne partie de ces derniers jours : L’Algérie...
L’esclave, vous connaissez ? Une chanson majeure de mon tour de chant. Mon public adorait quand je la chantais. « Dans un harem byzantin / Où pour trouver le paradis / Je m’étais déguisé en chien / Une esclave m’a dit », et là je commence à chanter... Un titre très moderne dans le sens où le mec devient femme au cours de la chanson. C’était très en avance pour l’époque !
C’est promis, je vais l’écouter. À propos de L’Algérie justement, j’avais envie de vous demander : ça avait été quoi la réaction des appelés pour l’Algérie, ces « milliers de garçons » qu’on avait embarqués pour une "aventure" dont ils « ne voulaient pas » ?
Tous les retours ont été positifs, que ce soit de la part des pieds-noirs ou des Algériens - ceux qui ont pu revenir, parce que malheureusement on a laissé beaucoup d’entre eux se faire massacrer, grande faute politique au passage... Ça a été un succès immédiat. Ces gens ont trouvé que cette chanson, c’était pile celle qu’il leur fallait. Cette chanson dure, parce que c’est la blessure de la France !
>>> L’Algérie <<<
Vous avez raison, blessure qu’on a encore du mal à regarder en face d’ailleurs.
Voilà. Alors, j’ai essayé de rendre cette blessure ensoleillée dans ma chanson, mais c’est une blessure terrible.
Une des plus belles chansons sur cette guerre, et sur la guerre en général...
Je le dis dans la chanson, mais effectivement, « Avec ou sans fusil », c’est un beau pays l’Algérie ! Clair et net. Et c’est vrai qu’elle fait partie de ces titres qui ont toujours plu à mon public, comme par exemple Je voudrais tant que tu sois là, et d’autres...
J’ai réécouté récemment cette autre chanson, belle mais plombante, là pour le coup on a envie de se pendre après l’avoir écoutée : Des éclairs et des révolvers. Êtes-vous un pessimiste, Serge Lama ?
(Il hésite) Oh, je pense que oui... Je suis né pessimiste. Mais bizarrement, j’étais le pessimiste qui faisait rire les gens. Mais fondamentalement, quand je prends ma plume, je suis pessimiste.
>>> Des éclairs et des révolvers <<<
Quand vous regardez derrière Serge Lama, vous vous dites quoi ? Comme le gamin des Ballons rouges, « J’ai fait ce que j’ai voulu » ?
Oh, oui... Je pense que j’ai même fait plus que ce que j’ai voulu. Je pense à Napoléon par exemple ou au Palais des Congrès, que j’ai inauguré. Je n’aurais pas pensé faire des tas de choses que j’ai faites. J’ai fait au-delà ! Au départ, mon seul souhait c’était d’avoir mon nom écrit en lettres rouges sur le fronton de l’Olympia.
Pensez-vous en toute honnêteté être considéré aujourd’hui à la hauteur de votre talent et de votre plume ? Ou bien, comme pour Bécaud, faudra-t-il attendre plus tard, qu’on vous redécouvre ?
Je ne sais pas... Vous savez, la postérité est une chose extrêmement capricieuse. On ne peut pas savoir ce qui va toucher les gens, ce qui tout à coup va toucher le public... Gilbert Bécaud a beaucoup été brimé par la critique, et la critique peut empêcher beaucoup de choses. C’est vrai qu’il était un compositeur hors pair, un interprète incroyable. On cite volontiers Brel, Brassens, d’autres. Aznavour aussi. Pas Bécaud. Pas moi. On ne parle pas de Bécaud et c’est une erreur, il est un peu l’oublié de la famille des quatre. Parce que pour moi ils étaient quatre donc, Brassens, Brel, Aznavour et Bécaud, et ma génération a été adossée à cette famille des quatre grands. Il faut s’accrocher après, pour passer derrière des mecs comme ça ! C’est pour ça que Sardou et moi, on a du mérite, avec tous ces artistes originaux comme Julien Clerc, comme Cabrel, comme Souchon aussi qui est de ma génération mais qui lui a essayé, avec sa plume, d’avoir véritablement son style à lui, ce que moi je n’ai pas essayé d’avoir. Souchon a cherché à se trouver un style dès le commencement. Ça a donné Allô Maman bobo : vous ne me voyez pas, moi, écrire Allô Maman bobo ! Si moi j’écris ça, la même chanson, tout pareil, il n’est pas dit du tout que les gens suivent. Je lui dis bravo. En plus, sur scène il est formidable. Moi, mon préféré c’est Cabrel. Mais les deux sont de haute volée, et de haute plume !
>>> Je suis malade <<<
Moi je pense en tout cas que les jeunes générations seraient bien inspirées de redécouvrir Lama, aussi !
Ça peut arriver ! Bon, il y a toujours Je suis malade, qui est une espèce de bête à concours, et qui pour l’instant a une postérité extrêmement forte...
Bien sûr... Qu’auriez-vous envie qu’on dise de vous après vous ? « Il a écrit de belles chansons » ?
Oui. Ça m’irait.
Je ne sais pas ce que ça pèse, mais je peux vous le dire en tout cas. Vous avez écrit de belles chansons et vous continuez, c’est ça qui est chouette.
Qu’on dise « il a écrit de belles chansons », ça me plairait plus que « c’était un grand interprète ». Ça je l’ai déjà lu, et quelque part je le sais, en plus. Mais « il a écrit de belles chansons », si on me disait ça, je serais très, très content.
Pour l’anecdote, il y a quelques années, j’avais pu interviewer Charles Aznavour via son fils, pour quelques questions. Je lui avais aussi demandé ce qu’il aimerait qu’on dise de lui après lui, il m’avait répondu : « que j’étais plus un auteur qu’un parolier de chansons ».
Et il l’est, ce qu’il dit ! Je le comprends, parce que lui aussi a souffert terriblement de cette non-reconnaissance. C’était un auteur remarquable, Charles. Il a écrit une vingtaine de chansons qui sont des chefs-d’œuvre, je pense à Comme ils disent, à des chansons d’amour merveilleuses... Elles sont vraiment écrites, l’air de rien, comme ça, mais très fouillées, et il n’écrivait jamais un mot pour ne rien dire. Tout le monde aime Aznavour, mais peu de gens disent qu’il est un grand auteur, alors moi je le dis, c’est un grand auteur !
J’ai eu la chance de pouvoir poser il y a peu cette question à Françoise Hardy : est-ce que, parmi vos chansons, il y en a qui sont tellement personnelles que vous imagineriez mal qu’un autre interprète que vous puisse les chanter ?
Moi je pense que les chansons sont faites pour être chantées, par nature. Pour moi la réponse est non. Même si une chanson est trop personnelle, si quelqu’un se l’approprie, c’est forcément qu’il va y mettre quelque chose de lui, qu’il va apporter un plus, une différence. Je n’ai pas ce genre de pudeur. Ça me ferait plaisir que quelqu’un reprenne une chanson qui serait très personnelle, ou en tout cas considérée comme telle de ma part.
Avez-vous toujours aujourd’hui, autant qu’il y a vingt, quarante ou cinquante ans, le goût d’écrire ?
Oui tout à fait. J’écris tous les jours. Tous les jours que Dieu fait, peut-être (rires), j’écris. Déjà, chaque soir, un petit mot d’amour pour mon épouse.
C’est chouette ça !
Je ne rigole pas ! Je suis avec Luana depuis 22 ans, eh bien elle a 22 ans de petits mots. Vous vous rendez compte un peu ce que ça représente. Tous les soirs, elle a un petit quatrain. Et à côté de ça, j’écris toute la journée, des choses qui me viennent, parce qu’on ne sait jamais... S’il fallait, si quelqu’un me demandait un disque, je sais que je pourrais aller fouiller là-dedans pour trouver des idées. J’ai du matos !
LIEN VERS LE SITE : http://parolesdactu.canalblog.com/2024/09/serge-lama-je-p...