Les lundis de l’actualité – Loris S. Musumeci et Jonas Follonier
Au Théâtre du Léman, les 19 et 20 décembre derniers, passait un débutant. Ou pour le moins un artiste qui prit plaisir à se laisser considérer comme tel par le nom de la tournée : « Je débute ». Le Regard Libre était présent à ce moment haut en poésie. Impressions.
Un corps claudiquant s’avance sur la scène, pas à pas. Et voilà que la lumière se braque sur le visage d’un homme, aux traits vieillis par la nostalgie. Pourtant, malgré des jambes paraissant déjà en souffrance, et les lignes du temps passé dessinées sur le front, le personnage s’annonce puissant. Dès son premier sourire, Serge Lama transmet déjà la vivacité et la tendresse qu’il a acquises au prix de la même nostalgie, et du décès de son épouse survenu une semaine avant la sortie de son dernier album.
Les salutations au public sont chaleureuses, tout en restant dans la sobriété qui a toujours ressemblé au pâle noiraud. Il présente d’emblée ses musiciens pour lesquels il accompagne à chaque nom un petit propos d’éloge. Le chanteur se retrouve avec seulement neuf accompagnants, dont deux choristes. L’ambiance de la scène est alors quasiment familiale. Elle révèle une nécessaire collaboration entre ses membres. Serge Lama fait corps avec ses sept instrumentistes et ses deux choristes.
L’interprète
L’artiste entame les titres d’un répertoire au ton intimiste, qu’est celui de son dernier album : Où sont passés nos rêves. Pour ce faire, il est indispensable d’établir un lien de confiance avec le spectateur. Toute révélation de soi a cependant des limites. Pour ne se livrer que jusqu’aux frontières qu’il a voulues, un masque préserve sa pudeur. Comme une femme voilée, lui, porte les cheveux longs plaqués à l’arrière. Au-dessus du nez, ses yeux crayonnés dessinent le contour de la personnalité. En-dessous, se logent moustache et barbichette, lui donnant un air d’antique poète ou de prophète oriental. Les vêtements complètent le masque facial : noirs, hormis la teinte de rouge vin de l’un des deux vestons du concert.
Dans son costume de messager, Serge Lama chante la vie d’un homme, ses pensées, les mots à attribuer aux sentiments les plus banals du quotidien. La manière de prononcer les paroles n’est pas la même qu’un Aznavour à ses heures les plus lyriques, ou qu’un Johnny plus rockeur. Tout en gardant un style totalement personnel dans la forme vocale qu’il donne aux consonnes, la diction se rapproche en une certaine mesure de celle qu’avait Jacques Brel dans ses chansons les plus révoltées et profondes. Les syllabes exposées aux oreilles de l’auditeur sont parfaitement distinctes, voire découpées, et très dures. Elles ont ainsi la capacité de s’imprimer chez le spectateur qui s’en imprègne.
Un décor qui laisse place à la parole
D’autant plus que l’atmosphère toute entière de la salle met en valeur le texte. Sombre et légère, elle centre l’attention sur les mots, pris un par un, précisément. Ainsi, sous les projecteurs qui illuminent les instrumentistes, Serge Lama chante la Lettre à mon fils : « Cueillons des cerises pour la commune / Et pour les rêves de Jaurès ». La prononciation de « commune » et « Jaurès » est si aigue qu’elle semble aussi faire partie du décor. L’ambiance visuelle se veut plus tragique avec Des éclairs et des revolvers, chanson tirée de son album de 2012, La balade du poète.
A l’arrière, pour éclairer l’obscurité ambiante, des jeux de lumière et des diffusions d’images. C’est le point plutôt moyen du concert dans son pendant quelque peu kitsch, surtout en ce qui concerne les images projetées. Néanmoins, il est des moments où les lumières ont ajouté de la majesté au chansonnier Lama. « L’Algérie / Ecrasée par l’azur / C’était une aventure / Dont je ne voulais pas », et gicle à l’arrière une lumière orange qui ramène dans le désert celui qui pense que, tout de même : « Avec ou sans fusil / Ça reste un beau pays / L’Algérie ». Ou encore pour Les ballons rouges, avec des lueurs d’une teinte écarlate sur tout le fond de la scène.
Quant aux images, elles touchent réellement le spectateur lorsqu’elles concernent directement l’interprète. En ouverture, voir les débuts de Serge Lama sous les notes de Je débute, donnant son nom à la tournée, exprime le trac demeurant après plus de cinquante ans de carrière. « Malgré mon statut de héros / Si demain on dit dans les journaux / Que c’était le combat de trop / Je dirai / Je débute ». Sans oublier également le portrait de son ami, de son maître, pour la fameuse chanson qui dégage toujours la même ardeur.
Des souvenirs
Dans Le souvenir, dont la sublime musique a été composée par Calogero, les photographies du petit Serge arpentent le temps de son enfance. On le voit avec sa famille, qui n’a pas toujours su l’aimer. « On avance l’âme à l’envers / En quête de nos cœurs d’hier / Où sont-ils dans notre passé / Les cailloux du Petit Poucet / Il y a cette étoile dans la nuit / Qui nous laisse seul mais qui luit / C’est du chagrin sans avenir / C’est sans le sou / Le souvenir / Le souvenir »
Dans Bordeaux, il est encore question de l’enfance. Douce malgré tout : « Papa m’emmenait à bicyclette / A l’école du cours Saint-Louis / Le bruit des roues me faisait fête / Quand je me serrais contre lui / J’aimais ce papa d’opérette / Ce papa musique et velours / Ma mère était toujours inquiète / Etait-ce d’angoisse ou d’amour ? »
Et les propres souvenirs du public sont également à l’honneur dans l’interprétation qui a fait sourire tout le monde : Les petites femmes de Pigalle avec ses « Et j’suis content, j’suis content, j’suis content, j’suis content / J’suis cocu, mais content ». Ou celle qui sonné la forte émotion pour chacun, Je suis malade, juste après que l’artiste se fut excusé auprès des spectateurs d’avoir plusieurs côtes cassées, ce qui lui a valu quelques larmes au moment de sortir de scène. Lama a tout donné ; Genève s’en souviendra.
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