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08.02.2011

8 Février 2013:La Croix

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Serge Lama, d’écriture en écriture



À l’affiche de l’Olympia jusqu’au 17 février, le chanteur populaire livre, à la veille de ses 70 ans, souvenirs et confidences d’un demi-siècle de chanson

 

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JEAN AYISSI / AFP

 

 

« C’est fragile une chanson. C’est une histoire d’amour entre trois notes et trois phrases. » Serge Lama est un amoureux fou de son art, un fin connaisseur de Béranger et de Trenet, les précurseurs, un amant qui en a expérimenté les joies et les affres, qui a appris aussi, avec le temps, à en parler. Un homme de 70 ans – il les fêtera lundi – qui en a passé cinquante à assumer une popularité hors des tours d’ivoire. Une vocation que cet être « totalement mystique » compare à celle que porterait un « prêtre laïc » : « Nous, les chanteurs, devons dire des choses simples pour être accessibles à tous », suggère-t-il.


Un titre écrit à 11 ans


Cinquante années, série en cours, comme l’atteste son double album sorti début décembre et déjà largement disque d’or, qui revisite ce parcours et s’aventure même sur les chemins de l’enfance. Parmi les 39 chansons retenues, celle qui donne son titre à l’ensemble, La Balade du poète, fut écrite à 11 ans et est restée inédite jusque-là. Le chanteur vient de se résoudre à enregistrer cette pièce d’orfèvre en herbe, longtemps réservée à ses seuls amis. Comme pour boucler la boucle, et mettre fin aux malentendus. Ils ne manquent pas. En particulier sa figure de Napoléon, qu’il côtoie toujours depuis son appartement donnant sur le dôme des Invalides mais auquel, dit-il, il ne pense plus guère.
Après son triomphe au Palais des Congrès, en 1981, le chanteur au sommet ne rêve plus que de se produire au Châtelet où, plus jeune, il avait vu Luis Mariano et tant d’autres. La condition, lui fait-on comprendre, est de faire une comédie musicale. Son ami (et maître) l’écrivain Marcel Gobineau lui met entre les mains une biographie de Bonaparte par Georges Bordonove, qu’il dévore tout en s’en inspirant pour écrire des chansons. Le voilà lancé.
 « Même si certains m’ont déconseillé cette entreprise en raison du caractère discutable du personnage, j’avais vite atteint un point de non-retour. Je me suis entêté alors qu’au fond je me moquais de Napoléon… J’étais juste satisfait de ce que j’avais fait, c’était tout. » Au final, le Châtelet refuse le spectacle. Serge Lama signe à Marigny et vit trois ans dans la peau de l’Empereur, attirant un bon million de spectateurs et faisant naître quelques quolibets en raison de sa forte implication dans le rôle : « Lama prend la scène comme Napoléon le pont d’Arcole », lira-t-on dans la presse.


Autre malentendu, celui créé par quelques « rengaines » – Tarzan, Superman ou Femme, femme, femme – qui l’ont installé de façon indélébile dans un registre de « macho » de la chanson. « C’est mon côté éruptif, qui ne représente que 10 % de mon répertoire. Mais mon rire a fait de l’ombre au reste. C’est la punition de ma vie », reconnaît-il. La réputation, il est vrai, est largement favorisée par son timbre de stentor « surchantant », comme il dit.
Serge Lama laisse à présent ses mots respirer.
Longtemps, en effet, Serge Lama fut « dans une course au pouvoir » avec sa voix, « pour compenser l’échec de (son) père », Georges Chauvier, chanteur d’opérette. À Bordeaux, bien avant de rêver au Châtelet, le jeune garçon vient chaque soir chercher son héros au théâtre, et découvre à travers lui la vie en coulisses, les feux de la rampe. Jusqu’à ce que Georges, monté à Paris avec femme et enfant, et n’y arrivant plus financièrement, devienne représentant de commerce. Le fils vivra mal ce renoncement, en voudra à sa mère et ne songera qu’à tenter sa chance, via le petit conservatoire de Mireille et les cabarets, pour se montrer lui-même un jour en chanteur triomphant.
Il a largement quitté ce registre depuis que le théâtre lui a appris « à interpréter » ses mots. Il se livre à présent avec « l’aujourd’hui de (sa) voix », plus subtile que celle des années de gloire, passée en outre par le filtre de l’accordéon de Sergio Tomassi, avec qui il travaille depuis plusieurs années, qui l’aide à redécouvrir ses propres textes, à accepter leur dénuement. Il entreprend ainsi un nettoyage en profondeur de tout son répertoire, se permet même d’intervenir sur certaines paroles qui ne lui conviennent plus, notamment sur D’aventures en aventures. « Mes chansons réapprises devenaient subitement meilleures. L’interprète s’est mis à comprendre l’auteur », explique-t-il. Il laisse à présent ses mots respirer. « Le cri demeure, mais il ne s’exprime plus d’une façon voyeuse, il est juste offert. »



Témoin de cette mutation, cette Balade du poète, écorchée, venue de l’enfance et de l’intérieur. Elle comprend ces vers qui n’ont rien d’enfantin et l’inscrivent, dès le milieu des années 1950, dans la lignée des maîtres de cabaret : « Pauvre poète qui fait la quête aux portes/tu ne recueilles qu’une ou deux feuilles mortes. » Le chanteur s’étonne encore d’avoir inventé ces mots avant des milliers d’autres.
Un an plus tard, adulte avant l’heure, il récidive : Comment veux-tu que je la quitte, chanson simple en apparence, inspirée par l’observation de ses parents, possède des trouvailles qui l’épatent toujours : « Avec au cœur ma solitude, mais elle ne le saura jamais. » « C’est une phrase matrice de ma vie, qui aurait pu naître à toutes les époques », s’exclame-t-il, avant d’ajouter : « J’avais à l’époque le besoin et le plaisir des mots. J’étais emporté par ceux que je lisais. Au fond, mes parents ne m’ont jamais trop laissé libre dans la vie, mais ils m’ont laissé en paix pour la littérature, inconscients que ce que je lisais n’était pas de mon âge. J’ai lu trop tôt Sade, et j’aimais déjà les divans, comme je le raconte dans ma chanson Les Ballons rouges. » 


 Un terrible accident de voiture en 1965 


Avec cette chanson et d’autres, il est ensuite, au début des années 1960, un débutant prometteur à L’Écluse, où il connaît le grand amour avec Liliane Benelli, pianiste des lieux où se produit alors Barbara. Il fait même figure d’héritier des « 3 B » – Brel, Brassens et Bécaud – qui le prennent chacun son tour sous leur aile. tIl se trouve ainsi à l’Olympia le soir historique de 1964 où Jacques Brel crée Amsterdam. « Une telle électricité dans la salle, je ne l’ai plus jamais ressentie de ma vie. » La même année, il partage sa loge à Bobino avec Georges Brassens, dont il fait le lever de rideau, et qui lui demande s’il a des chansons en réserve au cas où la gloire lui tomberait dessus… Il en a.


L’année suivante, à 22 ans, survient au mois d’août le terrible accident de la route dans lequel périt Liliane Benelli, son amie, ainsi que Jean-Claude Macias, responsable de sa tournée. Lui en réchappe miraculeusement. Brisé, il subit une série d’opérations, reste immobilisé plus d’un an, enregistre même son album suivant allongé sur un lit d’hôpital. Il reçoit le soutien de ses confrères de la chanson qui lui offrent en décembre la recette d’un Olympia de soutien. Et Gilbert Bécaud, qu’il admire profondément, vient lui tenir la main à l’hôpital, pendant la longue épreuve de la rééducation, de la reconstruction.
Depuis cet épisode, ce « catholique qui s’en défend », qui enfant « inondait les curés de questions et engueulait Dieu dans sa chapelle », vit dans l’idée que « quelque chose nous guide », qu’il y a « une mission à accomplir », et qu’il existe « un recommencement », ce que sous-tend sa dernière chanson, Des éclairs et des revolvers, sur le thème du déluge. 
Lui vient encore l’idée des carrefours « auxquels on ne peut échapper, décidés par Dieu, si l’on veut le nommer ainsi, ou par autre chose. Mon accident en a fait partie. J’aurais dû partir, comme deux autres personnes. Des forces m’ont obligé à passer ce cap. » Et à accepter la douleur qui façonnera sa silhouette brinquebalante. « Elle est devenue ma compagne permanente, elle le sera jusqu’au bout. Comme une part féminine, une part de vérité que je ne cache plus », confie-t-il.


Il ne prévoit pas encore de dire adieu


Le temps a passé. Il est à présent à l’autre bout de l’histoire, sans prévoir encore de dire adieu. « Le passé revient dans un présent qui m’étonne », confie-t-il, à l’heure de retrouver l’Olympia, comme en 1973, lors de son premier récital triomphal. C’était après un « Musicorama », sur Europe 1, qui fit de lui « une vedette en une soirée ». Il y a juste quarante ans, au temps de son « album rouge », son détonateur de carrière, qui contient Je suis malade et Les Petites Femmes de Pigalle, mais aussi Les Glycines (« C’est pas d’l’amour, pauvre Martha »), La chanteuse a vingt ans, L’Enfant d’un autre


Des décennies plus tard, son public vient réécouter ces titres et les autres – Une île, D’aventures en aventures, L’Algérie, La Fille dans l’église, Le Quinze Juillet à cinq heures, La Vie lilas… Preuve que Serge Lama est passé au-delà des modes. Son mystère, à nouveau, intéresse après des années où, comme il le dit, il s’est senti « célèbre mais transparent ». À présent, loin de se sentir « déposé par la vieillesse », il se dit porté par « une énergie nouvelle, inconnue ». Une régénérescence. « Pourquoi me fait-on soudain remarquer que je compte pour beaucoup de gens ? Je ne sais pas. Le besoin de me réécouter, soudain, s’exprime. Je n’en suis que le réceptacle… » 
JEAN-YVES DANA

 

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