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28.03.2009

28 mars 1996 : L'humanité

Article publié dans le journal l'humanité du 28 mars 1996

serge lama

 

serge lama

 

Serge Lama : chanter pour rendre les gens heureux

 

APRES une longue absence musicale, Serge Lama revient, avec un nouvel album baptisé tout simplement « Lama » (WEA). Le chanteur en a concocté les textes, avec le savoir-faire qui le caractérise depuis plus de vingt ans. Il a retrouvé ses deux éternels complices, Yves Gilbert et Alice Dona pour les musiques. Rencontre dans son appartement parisien où Lama, charmant, nous a rencontrés quelque temps avant son Olympia.

Après une longue parenthèse dans la chanson, il s’agit là du grand retour de Lama chanteur ?.

Une parenthèse, c’est le terme exact. Je n’ai jamais arrêté de chanter. Il se trouve que j’ai monté une comédie musicale (« Napoléon » - NDLR), j’ai aussi tâté de la télévision (dans la série « Garde à vue »). Entre 1972 et 1982, j’ai tellement chanté - plus de 250 concerts par an durant cette période - que j’ai éprouvé le besoin de souffler. J’en ai alors profité pour jouer la comédie, un rêve qui m’était cher. Une expérience enrichissante dont bénéficie mon tour de chant...

Faire l’acteur vous a donc aidé ?

J’ai gagné en sobriété, en rigueur mais aussi en maturité. Entre mes derniers spectacles et aujourd’hui, le temps, ça vous change une façon d’être, de bouger... Je me sens plus serein. J’ai toujours été mon propre chef et d’avoir été dirigé m’a aidé à prendre du recul dans la mise en scène du spectacle. Je me suis rendu compte que mes textes avaient une signification et que je ne pouvais plus me contenter de les interpréter comme autrefois. J’ai enlevé un peu d’agressivité, d’exubérance, deux traits de mon caractère que je ne renie pas mais que j’ai appris à nuancer.

Il semble cohabiter chez vous deux personnages : celui qui écrit et celui qui se met en scène...

Il y a l’interprète et le compositeur. Ce sont deux métiers différents. Il y a une forme d’impudeur à écrire qui n’est pas forcément la même dans l’interprétation. Avec ma nature méridionale, un peu « rugbyman », j’ai intérêt à me contenir. Alors que l’auteur, lui, peut se permettre d’être impudique, et je ne m’en prive pas. Ne pas l’être, cela revient à écrire pour ne rien dire, les mots édulcorés ne signifient pas grand-chose...

Vos paroles sont souvent très crues...

Quant j’écris, je n’ai pas de tabous, même si j’en ai dans la vie. Ecrire, c’est ôter cette complexité, cela agit comme une thérapie. Toutes mes chansons ne sont pas autobiographiques, loin s’en faut ! Sinon, cela me ferait une vie très compliquée, et elle l’est déjà pas mal ! Mais il y a une part de vous-même car l’histoire passe à travers votre prisme, votre tamis, et là, il n’y a rien d’innocent, même si c’est parfois inconscient.

Je suis quelqu’un de prolifique. J’écris beaucoup mais lorsqu’il m’arrive de ne pas écrire quelques jours, cela m’angoisse énormément. Je suis angoissé de ne pas écrire, pas de la page blanche. J’écris selon des envies, pas des idées. Je ne suis pas un homme à idées. Je suis un homme à mots, à phrases, à univers intérieurs. L’acte d’écrire me démange.

On sent chez vous comme une forme de boulimie...

Je le suis moins mais je suis très boulimique. Un stakhanoviste de la chanson : plus de 200 concerts par an, c’est gigantesque, mentalement et physiquement. Avec le recul, je me demande comment j’ai fait. J’avais tellement faim de ce métier que je l’ai usé jusqu’à la corde. D’où ce break nécessaire en 1982. J’éprouve à nouveau du bonheur à faire ce métier. Et quel que soit le succès, ou les épreuves que je pourrais vivre, je ne crois pas repartir sur les routes au même rythme effréné qu’il y a dix ans.

Vous vous définissez comme un artiste de variétés. Vous avez le sentiment que la relève dans ce domaine est assurée ?

Le métier a beaucoup changé. Et le couloir s’est rétréci au maximum. Il n’y a plus de place pour les jeunes interprètes. Les passages radio sont de moins en moins grands, ne parlons pas de la télé où il n’y a plus d’émissions de variétés. Des chanteurs comme Obispo, Fersen et d’autres pleins de talent n’ont pas accès au grand public. Lorsque nous faisions un « Numéro 1 », 60% des gens nous voyaient. Aujourd’hui, ils sont tellement sollicités...

Les règles ont changé et vous le regrettez ?

Ça fait toujours un peu vieux con, mais bon, c’est pas mal vrai. Déjà, il n’y a plus de cabarets : où les jeunes vont-ils se produire ? C’est la première fois, depuis que je suis chanteur, que je vois une génération qui n’existe pas, qui ne produit pas de vedettes. Habituellement, tous les dix ans, il y une vague de chanteurs qui émerge. Après des gens comme Julien Clerc, Sardou, Le Forestier, moi... sont arrivés les Goldman, Cabrel, Souchon. Et après eux - excepté Bruel - personne n’est sorti du lot. C’est très inquiétant. C’est mauvais un métier sans jeunes. On cherche un peu nos enfants.

Parmi les nombreuses chansons qui ont remporté un vif succès auprès du public, quelles sont celles qui vous tiennent le plus à coeur ?

Les chansons d’authenticité, humanistes, qui parlent d’amour ou abordent des sujets plus généraux telles « Mon ami, mon maître », « les Ballons rouges » ou encore « Et puis on s’aperçoit ». Mais celle-là, je ne la chante plus, car elle est trop désespérée, désespérante, trop nihiliste, et finalement, je ne suis pas ainsi. Les lendemains qui chantent ne sont pas propres aux communistes ! Dans un récital, les gens ont droit à du bonheur, voilà pourquoi je ne la chante pas. On a besoin d’espoir, surtout en cette période.

Qu’est-ce qui vous fait espérer ?

Ma nature, peut-être. Je suis un joyeux pessimiste, mais j’ai confiance en l’homme. Je pense que l’homme, malgré tout, finira par faire des choses. On se situe à une époque charnière où tout change, où l’argent justifie tout. L’univers capitaliste dans lequel on a grandi était régi par le travail. Ceux qui avaient de l’argent réinvestissaient dans le travail. Maintenant, c’est un capitalisme qui se mord la queue, assez désespérant. L’argent qui n’est pas le fruit du travail, c’est assez malsain. Alors, il y a la faillite du communisme d’un côté, il reste à trouver un nouvel équilibre, parce que ce capitalisme tue, broie les êtres humains. Maintenant que vous avez commencé de vous rénover, il y a sûrement un moyen terme à trouver, je ne sais pas, je ne suis pas un économiste ! En tous les cas, on ne peut continuer ainsi, sinon, ça va exploser.

Vous êtes décidément très attentif au monde qui vous entoure...

Comment voulez-vous faire autrement ? On a une fenêtre ouverte sur le monde. J’ai foi en l’homme, mais il faut parfois le bousculer un peu. C’est à nous tous, chacun avec ses convictions, de pousser les gens à être plus humanistes, à tenir compte de l’être humain. Si on n’en tient pas compte, l’Histoire nous le rappelle, il y a toujours un moment où l’humain en tient compte. Quand il y trop de pauvreté, les gens finissent par ne plus avoir rien à perdre. Cela fait longtemps que les choses auraient dû être réglées. On a connu vingt ans d’embellie après la guerre et depuis les années soixante-dix, cela se détériore.

C’est important pour un artiste de donner du bonheur aux gens ?

On est là pour ça. Qu’est-ce qu’il restera de nous ? Je ne me fais pas d’illusions. Je ne suis qu’un chansonnier, pas un poète. Si ce que nous faisons ne sert pas à rendre les gens heureux, nous sommes vraiment inutiles. C’est un petit pouvoir que de donner du plaisir, alors j’essaie de le faire du mieux que je peux.

A l’Olympia, jusqu’au 31 mars. En tournée dans toute la France ce printemps.

Propos recueillis par ZOE LIN

 

 

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