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18.01.2009

18 Janvier 1995:Libération

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Critique

Mordu de Lama

CHANSON. Il avait abandonné la chanson depuis des années pour la comédie. Sur la lancée d'un nouveau disque, le créateur de «Je suis malade» reprend du service, voix en avant.

IL CHANTE D'ABORD DANS LE NOIR Mon enfance m'appelle, comme si, pour ses fidèles, le rendez-vous devait d'abord se faire avec sa voix, sur quelques accords de piano. Puis un projecteur le révèle, au milieu de la scène, sur un tabouret. De la prestance, la ligne, la forme, la voix (malgré le son canardeux du début). Il se lève pour arpenter la longue scène du Palais des Congrès, méthodiquement: «Je fais bien attention à ne léser aucun côté, mais, de chaque côté, les gens s'imaginent toujours que je chante plus de l'autre côté.»

Serge Lama a une réputation de macho un peu faraud. Mais, à écouter ses chansons en commençant par la première, perdue dans les brumes de l'enfance, un autre personnage se devine. Plus complexe, peut-être. Est-ce lui qui fait frémir les dames de l'assistance (elles n'ont pas rajeuni depuis l'autre Palais des Congrès, il y a vingt ans)? Ces épaules de rugbyman cachent un perdant, un amer, un bourdonneux («je n'ai pu calmer ma blessure...»), cocu impénitent, d'hier («j'suis cocu et content») à aujourd'hui (Je te partage). L'imagination titillée par sa belle et masochiste Esclave, on se prend à compter le nombre de fois où il se fait «mordre» par une femme dans ses chansons, tiens...

 

La voix est immuable, avec le même syndrome (papa chanteur lyrique) que Nougaro (un petit glissement vers le chant classique). Avec son baryton, Lama s'offre un tour de force au final: Je suis malade sans micro (avec toute sa dianétique, Julia Migenes-Johnson s'aidait de micro quand elle faisait le Palais des Congrès).

Mais il y a aussi quelques moments pénibles. L'orchestre n'est jamais en phase: ruissellements d'accords pseudo-classiques (pour ambiances «romantiques»), ou, et là c'est carrément tragique, pour faire «techno»! Puis la programmation dévide ses rythmes mécaniques, pour un résultat plus près du balloche que d'autre chose ­ le côté «rengaine» des Petites Femmes de Pigalle n'est pas en cause ­, mais on regrette les violons d'antan.

Enfin, à part les moments tannants, la voix s'en tire toujours. Les mots sont simples, les chansons plutôt bien écrites, souvent sous haute influence brelienne, et, quand on ne tombe pas dans le kitsch sulpicien («Les yeux levés au ciel vers le père éternel»), leur culot, à l'occasion, peut frapper. L'Algérie, il y a vingt ans, était-ce évident? Ou bien, justement, cet Esclave (créé pour une revue de l'Alcazar)? Et toutes ces fredaines qui déboulonnent à plaisir la statue du super-mac. Tant de jolies blessures, qu'il promène si crânement...

Hélène HAZERA