Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14.12.2023

14 décembre 2025:La tribune Dimanche

1.jpg

Serge Lama : « J’ai enfin ce dont je rêvais à 40 ans »

ENTRETIEN — Une enfance amère, un accident tragique, des amoureuses célèbres, une carrière impressionnante… Entre épreuves et succès, le chanteur de 82 ans cultive une force de vie intacte. Il se livre comme rarement.

Propos recueillis par Joséphine Simon-Michel

 

2.jpg

Le Covid l’a empêché de faire ses adieux sur scène et de clore ses soixante années de carrière. Son corps, meurtri par un accident de la route à 22 ans, ne lui permet plus de rester debout. Mais sa voix, elle, tient encore. Devant l’objectif du photographe, il lance des « je suis malaaade ! ». « Vos voisins n’en ont pas marre ? » Il rit fort : « Depuis le temps, ils sont devenus sourds ! » 

À 82 ans, il a compris qu’il ne chanterait plus devant un public, par respect pour ceux qui viennent l’écouter. Assis, il ne s’y résout pas. Alors ses journées se décalent, à la manière des anciennes tournées. L’énergie revient la nuit. Ce soir-là, il s’est réveillé à 17 heures pour un rendez-vous chez lui, à 19 heures, face au dôme des Invalides. Il parle de son nouvel album, Poètes, comme un OCNI : objet de culture non identifiée. Mais Serge Lama, lui, demeure un OCBI : objet de chanteur bien identifié.

LA TRIBUNE DIMANCHE — Vous dites que les mots vous ont « sauvé de tout ». C’est précisément à 11 ans que vous commencez à écrire, au moment où votre père renonce à sa carrière de chanteur d’opérette.
SERGE LAMA —
 C’est ma mère qui l’a poussé à tout arrêter, alors qu’il aurait très bien pu gagner sa vie avec les tournées. Elle était jalouse de tout, surtout des femmes. Je voyais mon père transi de froid sur son Solex, contraint de vendre de la bière en plein hiver 54. Je lui disais : « Quitte-la ! On s’en sortira tous les deux ! » C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de le venger. Je voulais être, pour lui offrir tout ce que lui n’avait pas pu avoir.

Votre mère exerçait-elle sur vous la même forme de possessivité que sur votre père ?
Nous vivions à Paris dans une minuscule pièce et j’entendais leurs disputes. J’ai grandi trop vite. Elle ramenait tout à elle, tout le temps. Plus tard, quand je suis devenu célèbre, elle est venue me voir dans ma loge et m’a dit : « Tu devrais être content : sans nous, tu n’aurais pas écrit Les Ballons rouges. » C’était sa manière de revendiquer sa place dans ce que j’étais devenu.

Savez-vous pourquoi vous êtes enfant unique ?
Ma mère avait été enceinte avant moi d’un enfant mort-né. Elle ne répétait sans cesse : « Lui, au moins, il aurait été merveilleux ! »

À 22 ans, vous êtes victime d’un accident de voiture qui emporte votre fiancée et le frère d’Enrico Macias. Après ces douze mois d’hôpital, avez-vous pris conscience de l’emprise de votre mère ?
Depuis l’enfance, une acrimonie silencieuse saignait en moi… L’accident n’a fait que tout révéler. Quand elle est venue me voir, elle m’a surpris en train de plaisanter avec les infirmières. Et a lâché cette phrase terrible : « Même ici, on me vole mon fils. »

Ya-t-il un « Serge d’avant » et un « Serge d’après » l’accident ?
Absolument. Il y a eu le Serge timide, mal dans sa peau, puis le Serge habité par une rage d’être le premier. J’étais devenu arrogant, presque insupportable, mais j’avais besoin de le clamer pour y croire. J’aurais pu ne jamais rechanter si mon ami Marcel Amont n’avait pas crié aux médecins : « Attention, c’est un chanteur ! » Il les a dissuadés de me trachéotomiser pendant mes quarante-huit heures de coma.

Après tant d’épreuves, dont l’accident qui a coûté la vie à vos parents en 1984, avez-vous malgré tout le sentiment d’avoir de la chance ?
Oui, parce que je suis encore là. Mon corps est cassé de partout, je ne peux plus rester debout, mais mon cœur bat depuis plus de vingt ans pour Luana, une femme merveilleuse de trente-cinq ans ma cadette. Ma vie n’a été qu’une suite de combats : la perte de mon grand amour, l’hostilité du métier, des claques, des bides… Je me suis toujours senti un peu à part dans ce milieu. On critiquait mon physique, ma manière de m’habiller. J’étais un ancien pauvre, et ça dérangeait. Puis, quand j’ai fait le Palais des Congrès pour la première fois en 1975, les journalistes ont commencé à s’intéresser à moi. Et plus le succès grandissait, moins ils m’appréciaient. À juste titre, je voulais tellement réussir que je devais être insupportable en interview. Puis récemment, France 3 m’a consacré une soirée spéciale avec le monde de la chanson pour me rendre hommage. Je reste encore bouleversé par tant de tendresse. Alors, oui, j’ai de la chance car on ne m’a pas oublié. À 82 ans, j’ai enfin tout ce dont je rêvais à 40.

Parce que vous doutez encore de l’artiste que vous êtes ?
Je ne me fais aucune illusion. Je ne suis ni Brel, ni Brassens, ni Souchon, ni Cabrel. Quand je disparaîtrai, ceux qui m’aiment viendront me voir au cimetière de Montparnasse et on dira de moi : « C’était un chanteur à voix, un gars qui a écrit quelques belles chansons. » Ça ne me pose aucun problème d’ego.

L’homme assis devant moi n’a pourtant rien à voir avec le Serge Lama rieur qui fait le show…
Je n’ai pas de raison de faire le show avec vous. J’essaie simplement de sortir de moi-même pour raconter, le plus clairement possible, les épisodes déterminants de ma vie. Vous savez, je préfère être Serge Lama sur scène, car là-bas je me sens exister. Le Serge, lui, n’est plus personne. Aujourd’hui, je cherche à être aimé comme individu par des gens vrais, pas par des faux culs. J’en ai trop croisé dans ce métier.

Dans votre album, vous récitez On ne badine pas avec l’amour de Musset. Pourtant, vous avez beaucoup badiné, non ?
Oh oui ! Dans les années 1970, pendant quinze ans de tournée, j’ai profité de ma vie de chanteur. Un vrai coureur de jupons, souvent menteur. Et je n’ai pas honte de le dire, contrairement à d’autres qui étaient pires que moi. Mais au lieu d’enchaîner les conquêtes, je restais deux ou trois mois avec une femme. Elles m’ont littéralement nourri en chansons. Et je leur ai fait du mal aussi. Mais c’était plus fort que moi : j’avais besoin d’autres regards, d’autres paroles.

Votre histoire d’amour avec Sophia Loren relève presque d’un roman.
[Rires.] Ah, Sophia… Elle m’a dit « je t’aime » dès le premier soir. Mais « je t’aime », dans sa bouche, c’était « je te veux ». Elle a insisté pour que je m’installe avec elle aux Etats-Unis. C’était une belle histoire, mais impossible. Elle évoluait dans un univers qui n’était pas le mien. Et puis j’étais déjà fou d’amour pour Nana Mouskouri, qui a toujours préféré que l’on reste amis.

Est-il vrai que vous avez écrit les paroles de Je suis malade en seulement quarante minutes ?
Oui, c’est né d’un chagrin d’amour. La femme que j’aimais alors, Michèle, qui deviendra plus tard mon épouse et la mère de mon fils, Frédéric, vivait une histoire compliquée, et son absence soudaine m’a bouleversé. Une phrase me hantait : « Je suis malade. » J’ai demandé à Alice Dona de composer autour de ce refrain. Elle s’est installée au piano et j’ai écrit le texte comme un cri.

C’est comment, le dimanche de Serge Lama ?
C’est le jour où Lou tient à rester près de moi, peut-être parce qu’elle se demande combien de temps encore elle pourra profiter de moi. Je suis conscient d’être une lourde charge pour elle. Mais elle m’aime pour ce que je suis. Et ça, c’est un cadeau immense. 

Ses coups de cœur

Il prend toujours le même plaisir de relire Madame Bovary de Flaubert, de revoir Les Vestiges du jour avec Anthony Hopkins et de s’évader en écoutant Chopin. Coté séries, il ne décroche pas de The Beast in Me sur Netflix.

Son actu

L’album Poètes, un opus récitatif posé sur une trame musicale.

Écrire un commentaire