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02.12.2023

2 décembre 2025: Le Pèlerin

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« Les plus belles prières sont des poèmes » : à 82 ans, Serge Lama signe un album hommage aux grands poètes

Par Eyoum Nganguè

À l'occasion de la sortie d'un album dédié aux grands poètes, Serge Lama, 82 ans, revient sur son parcours et célèbre son amour inconditionnel pour les vers. Plongée intime dans les souvenirs, les drames et les passions d'un artiste qui, depuis soixante ans, tisse des liens entre la musique et les mots.

 

Dans ce nouvel album, vous revisitez des poètes que vous aimez. Est-ce une sorte de testament artistique ?

J'ai commencé à écrire dès mes 11 ans. Des poèmes, des drames, des tragédies et des chansons. Je place la poésie si haut que même les chansons les plus belles restent, à mes yeux, en deçà. La poésie m'a sauvé de tout ; elle a rythmé toutes les saisons de ma vie. C'est l'amour que je lui porte qui m'a poussé à réaliser cet album. Il me tenait à cœur depuis longtemps.

Qu'est-ce qui a guidé le choix de ces textes ?

Chacun de ceux que j'ai retenus a contribué à ce grand édifice qu'est la rumeur de l'amour. Mais le principal critère a été la résonance des mots en moi.

Vous semblez vouer une admiration particulière à Arthur Rimbaud. Que représente-t-il pour vous ?

Rimbaud a révolutionné la poésie. Toute son œuvre est extraordinaire, surtout si l'on pense au rejet qu'il a subi de la part des poètes officiels de son époque alors qu'il a écrit Le bateau ivre, à 16 ans. C'était un génie. Pour lui, la poésie ne valait que dans l'éclair de l'inspiration. Certains ont critiqué sa vie tumultueuse, ses beuveries. Mais, pour moi, cette existence est un condensé de sa destinée : mort à 37 ans en laissant une trace fulgurante.

D'autres poètes résonnent-ils en vous ?

Baudelaire, sans hésitation. J'ai découvert Les fleurs du mal à l'âge de 11 ans. Je pense aussi à Victor Hugo, Stéphane Mallarmé, Paul Valéry et René Char. J'ai aussi invité dans cet album des vers de Malherbe, du Bellay, Jarry, Verlaine, Racine et même Shakespeare…

Alors que nous sommes habitués à vous entendre chanter, ici vous déclamez…

C'est en effet un album récitatif sur fond musical. J'ai voulu mettre en lumière ce qui compte le plus à mes yeux : les mots. J'y ai rassemblé les plus grands poèmes de la littérature française, du XVe au XXe siècle. Je les ai ensuite découpés et assemblés pour créer une mosaïque de sens et d'émotions. C'est aussi une œuvre collective avec les arrangements et la musique d'Augustin Charnet. Mon fidèle ami, l'accordéoniste Sergio Tomassi, a assuré la prise de son et la coordination artistique.

Vous avez un jour affirmé que « la poésie relève du sacré »…

La poésie, c'est l'inaccessible étoile ! Elle permet à l'âme de chaque poète de toucher très loin et de résonner avec d'autres âmes. Certaines des plus belles prières chrétiennes sont des poèmes.

Quelle place occupe la foi dans votre parcours ?

Je suis catholique. Avec parfois plus de deux cents dates par an, mes tournées ne m'ont pas permis d'être assidu à la messe. Mais je défends mes convictions chrétiennes, même si, aujourd'hui, il est difficile d'assumer pleinement sa foi sans être catégorisé.

D'où votre choix en 2021 de vous marier à l'église…

Après dix-huit ans de relation, Luana, qui est croyante, et moi avons voulu nous unir devant Dieu et les hommes, dans l'église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, à deux pas de chez nous, à Paris. Je souhaitais lui offrir ce moment qui dépasse les mots. La cérémonie religieuse avec la robe, le serment…, c'était merveilleux.

Deux accidents de voiture ont marqué votre vie. Comment surmonte-t-on de tels drames ?

En 1965, à 22 ans, alors que je démarrais ma carrière, la voiture dans laquelle j'étais avec Jean-Claude Ghrenassia, frère d'Enrico Macias, et la pianiste Liliane Benelli avec qui j'étais en couple, a percuté un arbre. Seul survivant, j'ai gardé des séquelles physiques et psychologiques toute ma vie. La solidarité du milieu artistique – Barbara, Régine et d'autres – m'a aidé, tout comme ma rage de vivre et ma volonté de revenir sur scène malgré les pronostics médicaux pessimistes.

En revanche, lorsque mes parents sont décédés (dans un accident de voiture également, ndlr) , je triomphais avec la comédie musicale Napoléon … Il a fallu continuer d'assurer le spectacle. J'y ai puisé de la force pour faire face à la fatalité. À d'autres moments difficiles, j'ai pu compter sur les femmes de ma vie : Michèle (décédée en 2016), avec qui j'ai vécu pendant quarante-six ans ; puis Luana, depuis vingt-deux ans.

« Les plus belles prières sont des poèmes »
© David Niviere/abacapress.com

 

Votre père, Georges Chauvier, un baryton, chantait l'opérette mais n'a pas pu faire carrière. Est-ce pour réaliser son rêve que vous êtes devenu chanteur ?

Il aurait pu vivre de son art, mais ma mère qui avait un caractère très fort ne voulait pas qu'il parte en tournée, par jalousie. Elle a brisé son rêve. Et mon père s'est reconverti comme représentant en boissons. D'une certaine manière, j'ai poursuivi ce chemin pour lui autant que pour moi. Je l'ai tout de même fait chanter avec moi en février 1984 quelques mois avant sa mort en décembre, à l'occasion de mes vingt ans de carrière, au Grand Rex, à Paris.

Quant à votre fils Frédéric, il n'a pas suivi vos traces…

Il a d'abord été magicien, avant de se lancer dans la production audiovisuelle. Je crois qu'il a souffert, durant son enfance, de mes absences, lors de mes tournées. Aujourd'hui, nous nous voyons souvent et il sait combien je l'aime.

Vous avez voulu organiser une tournée d'adieu en 2021. Pour quitter les choses avant qu'elles ne vous quittent ?

La pandémie de Covid-19 m'a empêché de la faire. J'ai finalement décidé d'arrêter la scène sans effectuer cette ultime tournée, car je ne peux plus rester debout longtemps. Depuis mon accident de 1965, seule ma jambe droite me soutient ; elle a porté ma carrière entière. Par respect pour mon public, je refuse de me produire assis. J'ai vu des stars comme Serge Reggiani ou Charles Trenet chanter assis lors de leurs dernières apparitions. Je ne voulais pas offrir une telle image. Plus par réalisme et humilité.

Quel est le secret d'une aussi longue carrière ?

Les tragédies que j'ai vécues ont touché des gens confrontés à des difficultés similaires, et mes moments de bonheur m'ont permis d'écrire des chansons qui ont parlé aux autres. Sur scène, je ne me suis jamais économisé, et cela compte aussi. J'ai toujours été sincère avec moi-même et avec le public. C'est sans doute pour cela qu'il m'est fidèle depuis soixante ans.

En 2023, les Victoires de la musique vous ont célébré comme « monstre sacré » du music-hall…

J'ai été très ému. Le discours du chanteur Calogero était sincère, et la reconnaissance de la jeune génération m'a touché. Je pense me situer, après ceux que je considère comme les quatre grands de la chanson française – Brassens, Brel, Aznavour et Bécaud – dans une seconde ligne avec la génération des Souchon, Cabrel, Julien Clerc…

Quel regard portez-vous sur la chanson française d'aujourd'hui ?

Je ne sais pas si l'on peut encore envisager une carrière comme la mienne ou celle des artistes de ma génération. Le rap occupe une place immense et le spectacle vivant traverse une période difficile. Le public se concentre moins sur les textes ou les prestations. C'est l'ère TikTok, avec des textes qui semblent bâclés et souvent infestés d'anglicismes. Et avec l'intelligence artificielle et toutes ces nouvelles technologies, je ne suis pas très optimiste pour les futures générations de la chanson française. Il n'empêche, il y a quelques talents prometteurs.

Avez-vous encore un rêve ou un projet fou ?

J'ai déjà accompli beaucoup plus que je n'aurais imaginé. Napoléon m'a propulsé au rang de star, et j'ai inauguré le Palais des congrès de Paris, en 1975. J'ai fait le métier que je voulais et j'ai chanté à l'Olympia, dont je rêvais depuis mes 11 ans. Aujourd'hui, je me sens vieillir physiquement, mais, intellectuellement, je reste jeune et curieux, avec encore des choses à accomplir : un prochain album, si j'en ai la force…

Que voudriez-vous que l'on retienne de vous dans soixante ans : le poète, le chanteur ou l'homme en quête de sens ?

Je ne suis pas poète, je suis juste chanteur et parolier. Je souhaite simplement qu'on dise de moi : « Il a écrit de belles chansons. »

 

La biographie de Serge Lama

  • 11 février 1943. Naissance à Bordeaux (Gironde), sous le nom de Serge Chauvier. Il prendra celui de Lama, après avoir ouvert au hasard un dictionnaire.
  • 1964. Sortie de son premier 45 tours, À 15 ans.
  • 12 août 1965. Accident de voiture qui coûte la vie à sa compagne, Liliane Benelli, et à leur ami Jean-Claude Ghrenassia.
  • 1973. Sortie du tube Je suis malade .
  • 1975. Série de concerts au Palais des congrès de Paris qui le consacrent comme vedette.
  • 1984. Triomphe avec la comédie musicale Napoléon.
  • 11 février 2021. Mariage avec Luana Santonino.
  • 10 février 2023. Hommage aux Victoires de la musique. Victoire d'honneur pour l'ensemble de sa carrière. Poètes , son 25e album studio, Éd. Parlophone; 16,99 €.

En coulisses avec Serge Lama

« Les plus belles prières sont des poèmes »

Comme il vit en mode décalé – réveil à 15 heures, coucher à 4 heures du matin –, c'est à 20 heures, en plein milieu de sa journée, que Serge Lama nous donne rendez-vous dans son appartement du VIIe arrondissement, à Paris.

Dès notre entrée, le maître des lieux, son chat, un splendide maine coon dénommé Esprit, marque son territoire, reniflant le matériel de Delphine Blast, la photographe, et se frottant à nous à maintes reprises.

Finalement, il tolère notre présence et daigne, à notre demande, poser dans les bras de son maître, rappelant à sa manière que la fascination réciproque entre chats et poètes n'a rien d'une légende.

L'actualité de Serge Lama

Poètes, son 25 e album studio, Éd. Parlophone; 16,99€

« Les plus belles prières sont des poèmes »

 

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