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28.10.2020

28 Octobre 2022 La voix du Nord

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Serge Lama baisse le rideau après soixante ans de carrière : «J’ai chanté tant que j’ai pu»

Après des adieux à la scène annulés en 2020 pour cause de crise sanitaire, Serge Lama fait ses adieux au studio en livrant un ultime disque. Lui, l’amoureux des mots et le marathonien de la scène rattrapé par ses blessures passées, baisse ainsi le rideau sur une carrière riche. « C’est un départ volontaire, c’est moi qui ai décidé d’arrêter », nous explique-t-il.

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Difficile de commencer par une autre question, Serge Lama : comment allez-vous ?

« Cela dépend de quoi on parle… Psychologiquement, tout va bien. Mon disque reçoit un bon accueil. Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse un tel ramdam d’ailleurs. Physiquement, c’est une autre histoire… Je suis abîmé et c’est de pire en pire avec les années qui passent. Comme j’ai été blessé très très gravement dans un accident (1), et que j’ai quand même subi 14 opérations à l’époque, eh bien ça laisse des traces dans tous les coins. Je boîte, j’ai un nerf coincé et donc une sciatique quasi-permanente, c’est dur… Voilà comment je vais. »

C’est pour cela que vous baissez le rideau aujourd’hui. Quel regard vous portez sur vos 60 ans de carrière ?

« Soixante ans, oui… J’ai connu les plus grands Brassens, Brel, Barbara… J’ai connu aussi, bien sûr, tous ceux de ma génération, qui a été très riche, avec des gars comme Joe Dassin, Claude François, Julien Clerc… Et puis j’ai connu encore la génération d’après, riche aussi, avec Michel Berger, France Gall… Et puis celui qui est pour moi le dernier grand chanteur populaire, Jean-Jacques Goldman ! Moi j’ai fait le choix de chanter tant que j’ai pu. Il y a cinq ans j’étais encore sur scène. Mais là, je ne peux plus. »

Vous aviez préparé vos adieux à la scène en 2020, cela n’a pas pu avoir lieu. Pas trop déçu par ce rendez-vous manqué ?

« En 2020 malheureusement ça s’est mal goupillé… Avec la [sic] Covid, j’ai dû rester à la maison et après j’ai eu beaucoup de mal à reprendre. On a reporté deux fois la tournée, ça ne pouvait plus le faire. Et puis j’ai senti que mon épouse serait bien plus heureuse si je restais tranquillement à la maison, elle était très inquiète. (…) Sur le moment, ça m’a fait un peu de peine, c’est sûr. Mais quand je prends une décision, je n’y reviens pas, je suis comme ça. C’est un départ volontaire, c’est moi qui ai décidé d’arrêter. »

L’une des particularités de votre répertoire est de mélanger des titres fantaisistes et des titres beaucoup plus graves, parfois sur des thèmes difficiles (la guerre, le deuil, etc.)… Ce mélange, c’est votre signature ?

« Je ne sais pas… Moi les chansons que je préfère ce sont les chansons plus graves. Je préfère Je suis malade aux P’tites femmes de Pigalle. Même si cette chanson n’était pas écrite pour être faite comme elle l’a été. C’est Jacques Datin qui est parti sur un truc… (il chante la mélodie sautillante) Et comme la musique était chouette, j’ai repris un peu le texte, mais c’est quand même une histoire tragique  ! Je me suis fait voler la femme de ma vie par un voyou ! Et avec des chansons comme ça, j’ai été pris dans un grand filet. J’ai senti que le public aimait ça. Après j’ai fait Femmes, femmes, femmes, qui a été un succès considérable aussi. On ramène souvent les artistes à ce qu’ils ont fait dans leurs débuts mais plus tard, une chanson comme L’Algérie, sur un thème pas facile comme vous dites, a aussi été un succès. Et beaucoup de titres qu’on cite moins souvent Les Glycines, L’Enfant au piano, La Vie lilas… Celle-là, c’est drôle, elle est née en regardant un tableau… Tous les artistes auraient un livre à écrire sur l’histoire de leurs chansons. »

Justement, comment naissent les vôtres ?

« Je suis quelqu’un qui part sur une phrase. Quand Alice me présentait ses musiques (Alice Dona, qui a composé beaucoup de ses succès), et que j’avais mis une première phrase qu’on trouvait bonne… Et qu’Alice la trouvait bonne aussi… Alors pour moi, c’est peut-être con à dire, mais c’était terminé. Par exemple, pour Chez moi, dès que j’ai cette phrase "Viens, laisse un peu tomber tes poupées"… Alors là, c’est parti (il chante le refrain "Chez moi, y a des canapés…")

Cette chanson, est-ce que vous pourriez encore l’écrire ou la chanter aujourd’hui ?

« Non, non… Je vois ce que vous voulez dire... ce ne serait pas possible de l’écrire aujourd’hui. En revanche, je la chantais encore à 75 ans lors de mes derniers concerts. Mon public l’aime beaucoup. Et il n’y a pas d’ambiguité, quand je l’écris j’ai trente ans et je m’adresse à une jeune femme de dix-neuf ou vingt ans. " Laisse tomber tes poupées ", c’est une image. Même dans mon imaginaire, je ne m’adressais pas du tout à une fille de 13 ou 14 ans. C’était pas du tout dans ma nature ! »

Il y a d’autres chansons que vous n’écrireriez plus aujourd’hui ?

« Ah ben, déjà Les p’tites femmes de Pigalle car ce n’est plus le temps de ce genre de chansons… On n’a plus cette fantaisie où on déconnait... Il y a plein de choses qui ne se font plus. Alors oui, il y a une partie de mon répertoire que je ne créerais plus aujourd’hui, mais c’est peut-être de l’ordre de 10 %… »

Vous pensez qu’on ne sait plus s’amuser ?

« Disons que ce n’est pas en écoutant du rap sinistre, qu’on peut trouver l’énergie pour bouger ou avoir la banane. D’ailleurs, il paraît que dans les surboums aujourd’hui, quand ils veulent s’amuser, les jeunes mettent des morceaux des années 80. (...) On nous a enlevé le bonheur. »

Vous êtes dur avec la nouvelle génération !

« Ce n’est pas le problème de la nouvelle génération, en réalité ce sont les réseaux sociaux qui nous ont enlevé le bonheur. Tout est repris, déformé, déclassé, mal interprété… Et c’est pour ça qu’il y a des tas de chansons que je n’écrirais pas... par prudence  ! C’est comme ça. C’est tragique, mais c’est la vérité. Et ça changera peut-être dans dix ans, mais pour l’instant il y a des procureurs un peu partout. »

Vous venez de sortir votre dernier album. Comment on décide d’arrêter complètement de chanter ?

« Même le studio, c’est trop dur pour moi. Je ne veux plus ressentir une peur comme j’ai sentie quand j’ai enregistré cet album. Je chanterai encore avec mes potes musiciens. Peut-être que j’en enregistrerai certaines, on verra bien ce qu’elles deviendront… y compris quand je ne serai plus là. »

Sur cet ultime album, il y a une chanson qui s’appelle « Les hommes que j’aime », vous qui avez tellement écrit sur les femmes...

« C’est une chanson que j’avais commencé à écrire pour Johnny. Vous vous en rendrez compte quand vous la réécouterez. Mais je n’ai jamais réussi à l’atteindre. J’ai eu envie de réécrire le texte pour moi. Ce que j’ai fait… Les hommes que j’aime, ce sont les hommes qui ne cèdent pas si on veut les faire changer d’avis ou de chemin, les hommes qui ne lâchent pas le morceau, qui vont jusqu’au bout… Les hommes que j’aime, c’est Camus, c’est Jean Moulin… »

À moment où on s’interroge sur les relations hommes-femmes, qu’on cherche à définir ou redéfinir la masculinité, est-ce que cette chanson s’inscrit aussi dans la recherche d’une définition de l’homme ?

« Non, franchement non. Je n’y ai pas pensé. Sur tous ces sujets-là, je pourrais écrire tout un disque… mais je le garderais pour moi ! »

Pourquoi ? Vous auriez peur des « procureurs » des réseaux sociaux dont vous parliez  ?

« Oui, exactement ! Parce que je donnerais mon avis, et que mon avis… (il hésite mais ne termine pas sa phrase)… Moi je suis pour la femme, et pour qu’elle soit mise en avant comme elle devrait l’être, ce qui n’est toujours pas le cas. (...) Il y a des poussées qui peuvent paraître excessives, mais il faut voir aussi que dans toutes révolutions sociales, il y a des mouvements excessifs. Ce que j’espère c’est qu’un équilibre va se trouver. Je pourrais écrire des choses là-dessus… Mais de toute façon, ça serait détourné et je serais marron  ! »

La pochette du disque reprend le graphisme du disque « Je suis malade »… une façon de boucler la boucle ?

 

 

« Cela clôt une histoire. Ce disque rouge a fait de moi l’homme que je suis, l’homme que j’ai été… Celui qui s’est fait des ventrées de public, tellement j’aimais ça… J’ai fait des années avec 200, même 300 concerts… j’ai tout vécu avec tellement d’intensité. Quand je me suis demandé comment clore cette histoire, j’ai eu cette idée que le disque soit rouge comme celui de Je suis malade. La maison de disques s’est pliée à ce désir et a même trouvé que c’était une bonne idée marketing, pourtant ce n’est pas trop mon truc d’habitude ! »

Conseiller marketing, voilà une idée d’occupation pour votre retraite !

« Oui, pourquoi pas ! (rires) Vous savez, on m’appelle souvent pour me demander conseil sur des trucs, parce que j’ai vécu beaucoup de choses… C’est le privilège de l’âge ! »

els sont vos vrais projets ?

« Je sais que je ne vais pas m’ennuyer. Je ne suis pas le genre de mec qui reste les deux pieds plantés. Enfin, si, physiquement je reste les deux pieds coincés… (il lâche un éclat de rire de stentor) Mais ma tête continue de bien marcher, j’ai plein de projets. Je vais peut-être attaquer ma bio, qu’on me réclame beaucoup. Il y a eu des bios non autorisées, on ne peut pas l’empêcher. Mais je voudrais écrire mon histoire sans revenir sur les choses qui sont connues de tous, en essayant d’écrire une bio d’auteur, plus originale, quitte à ce qu’elle soit courte… »

(1) En 1965, Serge Lama a 22 ans quand est grièvement blessé dans un violent accident de voiture. Il est le seul survivant. Le conducteur, le régisseur Jean-Claude Ghrenassia, frère d’Enrico Macias, et Liliane Benelli, accompagnatirce de Barbara, et compagne de Lama à l’époque, meurent tous les deux.

 

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