Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09.02.2016

9 Février 2018:Le point

Capture.PNG

 Serge Lama : « Je me considère comme un écrivain raté »


ENTRETIEN. Le chanteur va fêter ses 75 ans à l'Olympia. Retour sur plus de 50 années de carrière et sur une œuvre qu'il estime incomprise.


Propos recueillis par Florent Barraco

 

13239852lpw-13244098-article-lama-jpg_4990133_660x281.jpg

 

Il fut dans les années 1980 « Napoléon », qu'il célébra dans une comédie musicale et dans la chanson « Une île ». En 2018, à la veille de ses 75 ans, c'est plutôt Napoléon III qui nous reçoit. À quelques encablures des Invalides, où le « petit tondu » repose, Serge Lama, moustache et bouc soignés, se prépare à remplir l'Olympia pour cinq dates. Après cinquante ans de carrière, le malentendu Lama persiste. Lui voudrait qu'on l'admire pour son œuvre, ses textes poétiques, son « 15 juillet à 5 heures ». Une partie du public et des critiques ne le voient qu'en chanteur populaire qui vante « Les Petites Femmes de Pigalle » ou « reste seul avec son désespoir » (« Je suis malade »). Une incompréhension qui marque le chanteur, lequel souhaite que soit reconnue l'entièreté de son « œuvre ». Entretien.

Le Point : Vous allez fêter vos 75 ans dimanche à l'Olympia, dans un spectacle qui s'appelle Je débute. Débuter sans cesse, est-cela le secret pour durer ?

Serge Lama : Il faut prendre chaque événement qui se présente comme si c'était une nouvelle aventure. Un peu comme les explorateurs qui partaient sans savoir où ils allaient. Bien sûr, je connais mon public, il est fidèle et vient à mes concerts. Mais je continue d'écrire de nouvelles chansons que j'essaie d'imposer dans mon tour de chant, même si les gens n'aiment pas ça. Les gens n'écoutent plus les nouvelles chansons et n'ont plus l'attention nécessaire. C'est l'époque. Quand j'allais voir Brel, je n'étais qu'une oreille et que des yeux. J'attendais les chansons nouvelles comme le Messie. Je pourrais chanter éternellement « Je suis malade » ou « Les Ballons rouges » sur scène, le public serait heureux. Mais je ne veux pas. À l'Olympia, il y aura cinq chansons de mon nouvel album.

« La littérature est tout pour moi. Elle m'a tout appris : à écrire, à être curieux, à aimer. »

Justement, dans «  Les Muses » , vous écrivez : « Au clair de la lune mon âme à zéro/Plus rien dans la plume, rien dans le stylo/Depuis que les muses soudain se sont tues. » L'inspiration est-elle toujours aussi présente ?

La page blanche est une angoisse inimaginable quand on est auteur, même si on arrive à se renouveler en abordant de nouvelles thématiques. Je suis très à l'écoute de ce que font les jeunes. J'essaie de comprendre et de découvrir. Et j'évite de dire que, de mon temps, c'était mieux. J'écris tous les jours. Finalement, une chanson, c'est deux phrases : « Je n'ai pas eu de ballons rouges/Quand j'étais gosse dans mon quartier. » Ensuite, c'est parti. Je suis un peu comme le commissaire Maigret qui fait une enquête. Pourquoi je n'ai pas eu de ballons rouges ? Car « Dans ces provinces où rien ne bouge/Tous mes ballons étaient crevés ». Le premier couplet est terminé. Il faut laisser reposer. Puis on y revient, on entre dans le dur et on se bat mot par mot.

Quelle place la littérature occupe-t-elle chez vous ?

C'est tout pour moi. Elle m'a tout appris : à écrire, à être curieux, à aimer. Quand j'étais petit, je lisais énormément. Mes parents devenaient fous, car je ne travaillais pas beaucoup à l'école – sauf en français –, mais je lisais beaucoup de livres. Des livres qui me dépassaient. Quand vous lisez à 12 ans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke, vous ne comprenez pas, mais ça vous pénètre comme l'eau s'infiltre partout.

Yann Moix écrivait dans nos colonnes en 2015 à votre propos : « Je le crois chanteur, évidemment, mais poète d'abord : une manière de monstre, un écrivain qui se risque à chanter. » Est-ce une bonne définition ?

Je me considère plutôt comme un écrivain raté. J'ai loupé ma vocation à cause de mon père. Il n'a pas réussi à devenir chanteur. Je me suis donc senti investi d'une mission de réussir à sa place. Sinon, je serais devenu écrivain. Il y a quelque chose en moi qui n'est pas satisfait : j'aurais aimé écrire un beau livre. Je pense en avoir les armes. J'ai écrit à partir de 11 ans et demi : des poèmes, des drames, des tragédies et des chansons. La chanson est la forme extrême de la nouvelle. J'ai sorti un recueil de mes chansons (Un homme de paroles. L'intégrale de mes chansons, Nldr), qui a d'ailleurs plutôt bien fonctionné à mon grand étonnement. J'ai été obligé de lire mon « œuvre » et j'ai été surpris de la solidité du package. Mes chansons sont très littéraires. Il y a des effractions comme « Femmes, femmes, femmes » ou « Les Petites Femmes de Pigalle » mais elles sont tout de même très écrites. Dans ce métier, on pense qu'une chanson gaie est facile à faire. Elles ont seulement l'air faciles. J'ai 15 titres qui ont créé un personnage et marqué ma carrière. « Superman », « C'est toujours comme ça la première fois », « Femmes femmes femmes » ont finalement masqué mon œuvre qui est composée de chansons tristes, mélancoliques ou qui parlent de sujets surprenants.

Dans « Star », vous chantez : « Entre le noble et le vulgaire/Tu devras choisir ta frontière. » Avez-vous mal placé le curseur, ce qui expliquerait l'incompréhension ?


Quand j'ai débuté, mes premières chansons étaient « D'aventures en aventures » et « À 15 ans ». Les gens disaient : « Il a du talent, mais c'est un chanteur triste. » Du coup, comme il y a une obligation dans ce métier, celle de réussir, je me suis mis à écrire des chansons gaies, comme « C'est toujours comme ça, la première fois ». Il s'agissait de chansons à boire comme celles qu'écrivait Brassens. Et, dans les chansons joyeuses et fétardes, il faut une once de vulgarité. Dès que je faisais le moindre écart, on me tapait dessus. J'ai eu les féministes sur le dos à cause de ces vers : « Elle avait, oh, un tout petit cerveau /Quand le ciel était clair, j'y voyais des bateaux /Mais une fille, hé, quand on l'a dans la peau /On ne se soucie pas trop du cerveau (Le Lit d'Isabelle, NDLR). » À Brassens, on ne lui disait rien. J'ai une quarantaine de chansons qui ont été des succès, mais le temps trie les chansons et on garde plutôt celles qui sont gaies et joyeuses. Il y a un malentendu. Je suis malheureux qu'on ne me juge que sur ces titres.

« Déjà dans les années 1970, il y avait la pression des féministes. »
Des titres comme « Le gibier manque et les femmes sont rares », « Les Petites Femmes de Pigalle » ou « French Nana » pourraient-ils exister aujourd'hui en pleine époque #BalanceTonPorc ?

« French Nana », je reconnais que c'est une très mauvaise chanson. J'ai dépassé les limites. « Le gibier manque » est un titre drôle, mais c'est un malentendu. Quand j'étais petit, je m'étais rendu à une partie de chasse. Les chasseurs revenaient avec leur gibier et il y avait une ambiance étrange. Pour moi, c'est une critique sociale quand je dis « il chante pour faire gai ». Ils ne sont pas heureux, mais ils font semblant. De toute façon, mes chansons ont été mal comprises. Quant à la pression des féministes, c'était déjà le cas à l'époque. J'avais même écrit, en 1977, « Messieurs, je hisse le drapeau de la libération de l'homme ». Cela devenait n'importe quoi : on nous reprochait d'être des hommes.

La chanson française est-elle trop sérieuse aujourd'hui ?

Sans doute, mais c'est l'époque. On attend toujours des chansons de Ray Ventura (« Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ») ou de Charles Trenet. Mais l'époque est plus triste. La chanson est un miroir de l'époque. Aujoud'hui, il y a quelque chose de gris qui n'incite pas à faire des chansons très gaies. Cependant, j'envisage, si Dieu me prête vie, d'en faire dans un prochain album. J'ai envie de revenir à la tradition de la chanson de revue (« Femmes femmes femmes »), que j'ai tant aimée. Tout le monde prend un ton sérieux et bien pensant, car on ne peut plus rien dire. On se censure. Il y a une paranoïa générale.

« Je pense que Napoléon ressurgira. J'en suis très fier. »

Souhaitez-vous que la jeune génération de chanteurs reprenne vos chansons comme elle a pu le faire pour Johnny, Renaud ou Jean-Jacques Goldman ?

C'est en projet. J'y pense sérieusement. J'ai des copains, dont Patrick Fiori, qui frappent à la porte et qui me disent : « Des jeunes aiment tes chansons. » Il paraît que Soprano ou les BB Brunes veulent reprendre mes titres. À mon âge je vais peut-être me laisser faire, car cela peut permettre de faire découvrir mes chansons à un nouveau public.

Que voulez-vous que l'on retienne de votre œuvre ? 

Je n'ai aucun pouvoir là-dessus. La postérité décidera ce qu'elle pourra... Je pense que « Napoléon » ressurgira. J'en suis très fier. C'est tout de même une œuvre sous-estimée aujourd'hui, mais qui peut-être revalorisée par un événement. Il y a quelques mois, un jeune a fait un spectacle à Orange en reprenant mes chansons (Napoléon symphonique) et ça a été un succès phénoménal. Mon fils ne jure que par « Napoléon ». Même si cela m'a marqué politiquement. On a considéré que j'étais un chanteur de droite alors que je ne le suis pas.

De quelles chansons êtes vous le plus fier ?

« Je suis malade », « Les Glycines », « L'Enfant d'un autre », « Mon ami mon maître », « La Fiancée ». J'aimerais bien faire un tour de chant avec sept tubes, qui seraient comme des repères, encadrant beaucoup de chansons anciennes peu connues.

Écrire un commentaire