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02.12.2009

Décembre 2012: Yann Moix

Pour accompagner la sortie du nouvel album, Yann Moix écrit ceci:


 

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Yann Moix photo D.R.



LE CENTAURE


Le fils Chauvier, aidé par personne, est devenu Lama sans renier Serge : c’est ce centaure qui chante aujourd’hui, les jambes emmêlées dans le fil de son micro sans-fil.
Lama possède ce génie-là : on voit toujours et encore, grâce à lui, le fil du micro. Il n’insulte jamais la tradition : il la révèle. Il insulte encore moins la relève : il l’accompagne.
 
Lama, Serge, est le seul chanteur révolutionnaire encore debout. Il fait tourner les airs révolus, tourbillonner les refrains passés, jusqu’à ce qu’ils naissent une nouvelle fois, jusqu’à ce qu’ils jaillissent, plus inédits que jamais. Tout ce que chante Lama est toujours neuf, surtout ses anciennes chansons.
 
C’est cela la révolution : opérer un retour, mais vers demain. Lama se retourne vers l’avenir. Il sait que le passé est la capitale du futur. Un lieu de perpétuelle fraîcheur, où sans cesse on renaît sans se renier. Les autres sont des stars, lui est un astre. Il tourne autour de quelques maîtres qui lui servent de soleils portatifs – Brel, Piaf, Bécaud.
 
Mais Lama ne fait pas qu’écrire des chansons : il chante son écriture. Ce n’est pas exactement la même chose. Une musique se déploie en lui, par lui, avec lui, qui n’est pas celle des arpèges, des gammes et des portées : mais celle de la littérature, qu’il connaît et qui l’a reconnu.
 
Le fils Chauvier chante pour les autres fils, il ne chante ni pour les pères ni pour les mères, surtout quand il chante ses parents. Il chante pour l’enfant d’un autre et l’enfant au piano, pour les p’tites femmes et la fiancée, pour la fille dans l’église et la danseuse : il est ennemi de ce qui est lourd, adulte, pesant, statue. C’est l’homme de ce qui s’envole, le fils des ballons rouges et des ballerines ; un homme de plume, mais parce que pour lui rien n’est plus léger qu’une plume. Un homme d’amitié, et même un homme-ami, l’ami fait homme, parce que l’amitié est un roc, mais qui se fissure comme sait se lézarder l’amour.
 
Ce que Lama aime dans les choses, ce qu’il nous dit d’elles, c’est leur talon d’Achille, leur faiblesse. Il ne chante pas tant ce qui est innocent que ce qui est inoffensif. Il est là, toujours déjà là, du côté de ce qui s’efface et s’excuse, s’étiole et s’effrite, s’abîme et s’éloigne.
 
L’indicible est ce qu’on ne peut dire : alors Lama le chante. S’il est malade d’une chose, c’est de l’oubli. Celui des infimes instants abolis, qui ne reviennent que dans sa bouche, empruntant sa voix. Sa voix de Centaure. Lama ne s’habitue pas aux choses qui finissent. C’est comme ça que tout a commencé. Ce commencement continue.
 
 
Yann Moix

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