Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22.09.2009

22 septembre 1999 : Le Temps (Suisse)

Interview du journal suisse Le Temps avant le concert de Serge Lama au Grand Casino de Genève le 26 septembre 1999

 

le temps.jpg

Lama, l'ami de la famille

Il a chanté «Une île» et «Les petites femmes de Pigalle». Aujourd'hui, dans son salon surchargé de bibelots, à quelques jours d'un concert genevois, il raconte qu'il voudrait jouer du Anouilh.

Sylvie Tanette, Paris

Il ouvre la porte, en chaussons et jogging Décathlon. Respire un grand coup. Souriant, l'air un peu fatigué, peut-être se passerait-il volontiers de ce genre d'entretien. Mais le travail c'est le travail et on n'a rien sans rien, semble-t-il penser en s'asseyant à sa table de salon comme d'autres vont à la mine. L'appartement est douillet jusqu'à la surcharge. On devine à ce qu'il raconte qu'il y vit peu, toujours sur les routes à sillonner le pays pour ses innombrables tournées. Le vieux briscard de la chanson française repart d'ailleurs dès le surlendemain. Son nouveau spectacle est quelque chose de différent, assure-t-il, plus jazz que d'habitude. On s'interroge sur cette force qui lui permet, à 56 ans, de mener ce train de jeune homme. Pensez-vous! C'est son métier, voilà tout.

Sa voix frappe, dès les premiers mots. C'est la même, intacte, qui chantait «une-île-entre-le-ciel-et-l'eau» dans le transistor. Cette même surprenante gravité, dont Serge Lama a fait un style. Elle lui vient d'où, cette voix? De son père chanteur d'opérette, certainement. Un homme passionné et talentueux mais devenu représentant de commerce pour faire plaisir à sa femme, lasse de tirer le diable par la queue. «Ce qui a été pour moi très dur à vivre, psychologiquement», avoue Serge Lama. C'est de là que lui vient son goût pour le spectacle: «Tout petit, j'ai toujours voulu faire ça.» Et ainsi, de la fin des années 60 au milieu des années 80, il a enchaîné disque sur disque, tournée sur tournée. «Je suis certainement le chanteur qui chantait le plus, affirme-t-il avec orgueil. A l'époque, je devais faire 250 dates par an. C'est pas du bidon ce que je vous dis.» Il se souvient aussi des débuts difficiles, des cabarets, se définit comme l'héritier de toute une génération, de Brassens à Aznavour, et Piaf, et Léo Ferré, mais se dit plutôt Bécaud que Brel, conscient de toute façon d'avoir depuis longtemps sa place parmi les grands noms de ce qu'on appelle la chanson française. Et voilà qu'il se met à faire un véritable cours d'histoire, rappelant l'importance et le style des uns et des autres, énumérant des dates, des noms. Il tente de parler avec le plus de justesse possible de son métier, de ses responsabilités, de ses obligations face à son public. «Il ne faut pas oublier que les chansons, pour les gens, symbolisent des époques de leur vie, des jalons dans leur existence. Aussi, quand on refait un arrangement, ils peuvent être choqués. Et puis ils s'habituent. Il faut savoir un peu forcer le public parfois.»

Il y a eu pourtant une trêve dans cette avalanche de disques d'or. Pendant près de dix ans, et jusqu'en 1996, Serge Lama n'a plus chanté ou presque. Il a d'abord créé une comédie musicale sur la vie de Napoléon. «C'était comme si j'avais mis un pied dans un engrenage complètement différent», avoue-t-il. Les circonstances et le hasard ont fait le reste. Serge Lama a joué à Paris dans une pièce de Françoise Dorin, puis dans une comédie de Sacha Guitry. «Un rêve d'enfant», précise-t-il, soudain passionné. «Au moment où j'allais programmer ma rentrée comme chanteur, parce que je m'étais dit: quand même, ça fait un moment que je n'ai plus chanté. Cela me démangeait, eh bien, à ce moment-là, on m'a proposé un rôle dans un feuilleton pour la télévision, et hop! c'est reparti. J'ai pas pu résister. Alors j'ai joué un commissaire. Bon, j'aurais peut-être préféré que ce soit un personnage différent.» A la réflexion, cela ne lui déplaisait pas tant: «Parce que, pour une fois, je sortais du rôle de joyeux drille. On me voit toujours un petit peu dans le genre Les petites femmes de Pigalle, voyez.»

Il s'en désole. Lui, il se voyait plutôt dans un rôle tragique. Même dans ses chansons. «Cela me colle à la peau. Des chansons joyeuses, il n'y en avait qu'une, souvent, par disque, deux au mieux. C'était toujours elle qui emportait le succès.» Ce que réclament les gens c'est son énergie. «Le problème c'est que c'est un peu faux, réfléchit-il. Quatre-vingts pour cent de mes chansons expriment la tristesse, voire le désespoir. J'aurais bien aimé jouer autre chose au théâtre. Je ne sais pas, disons un rôle un peu plus lourd, du Anouilh par exemple. Parce que j'ai ça en moi.»

Maintenant qu'il s'est remis à chanter, il ne fait plus que ça. Serge Lama promet cette année un spectacle intimiste. «Parce que pour les gens je suis un peu l'ami de la famille», dit-il en faisant remarquer que son expérience de théâtre a changé sa façon de chanter. «C'est difficile à expliquer mais la différence est énorme.» Et il se met à parler de lui à la troisième personne: «Le chanteur des années 70, aujourd'hui, je trouve qu'il chantait un peu fort. Il n'avait pas pris en compte l'auteur. C'est une espèce de force qui manquait de nuances. Le théâtre m'a appris à respecter les textes.» Et Serge Lama entonne soudain «Je suis malade» juste pour montrer son évolution dans l'interprétation. «C'est le bon côté du temps qui passe, assure-t-il. Le bon côté des années.»

Depuis une heure, il parle vite, sans presque jamais s'arrêter, dévidant sa vie sans pose ni émotion particulière. Simplement une série d'occasions sur lesquelles il a sauté. Des rencontres. Et, surtout, des préoccupations de professionnel: «J'ai fait mon métier pour la scène. Encore aujourd'hui, c'est par la scène qu'on assoit une carrière, même si on vend beaucoup de disques par ailleurs. C'est fondamental. Vous savez, nous les chanteurs français, nous ne passons plus beaucoup à la radio, ni les uns ni les autres. Les chansons, il faut aller les défendre soi-même, sur le terrain.» Au fil de ses récits surgissent des petites villes de province avec des salles de 600 places, se dessine une sorte de carte géographique balisée par des concerts. Nantes, Belfort, les répétitions, les séances de signatures. Aller voir de ses propres yeux le bonheur des gens. Et petit à petit s'expose ainsi sa vie. La vie de quelqu'un qui savait ce qu'il voulait, qui a beaucoup travaillé pour y arriver et qui, depuis, n'a jamais arrêté.

Serge Lama sera en concert au Grand Casino De Genève le 26 septembre.

Écrire un commentaire