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25.08.2022
25 Aout 2024:Le Figaro
Napoléon a 40 ans: le coup impérial de Serge Lama
photo: Charles Platiau
En septembre 1984, au sommet de sa gloire, le chanteur de Je suis malade monte une comédie musicale sur l’empereur des Français. Un succès public, mais qui l’a durablement marqué politiquement.
Napoléon a quarante ans. Ce qui est bien avec des personnages historiques, c’est que l’on fête toujours un anniversaire. Disparu en 1821, l’empereur a connu des renaissances, des triomphes et des victoires posthumes. On connaît le jugement de Chateaubriand : «Vivant, il a manqué le monde ; mort, il le possède.» Si dans un premier temps, il a possédé les bibliothèques - plus de livres publiés que de jours écoulés depuis son décès, dit la légende -, la culture populaire se l’est vite approprié. Jean Yanne, Pierre Mondy, Christian Clavier... Ils ont tous interprété Napoléon choisissant le rire, la tragédie ou le sérieux. En 1984, un artiste populaire va enfiler le bicorne pour créer la première comédie musicale à succès en France : Serge Lama.
Napoléon c’est une aventure d’abord implicite. En 1970, Lama chante Une île, une belle bal(l)ade mélancolique sur les aventures insulaires malheureuses du grand homme. Comme pour Michel Sardou (La marche en avant chanson de 1973 qui aurait pu ouvrir la voie à une comédie musicale), le personnage fascine ce chanteur plutôt classé à droite. Il y a chez Lama tous les attributs de Napoléon : la présence, la prestance, le flair, la chair, la passion, la folie. Après une décennie 1970 pleine de succès (il est alors l’un des plus grands vendeurs de disques devant Johnny, Cloclo ou Delpech), Serge Lama a envie de grandeur. «Je voulais faire le Châtelet, mais le patron m’a dit que je pouvais le faire que si je faisais une comédie musicale», expliquait le chanteur au Festival Napoléon en 2023. Lama se laisse tenter. Lui le chanteur de Femmes, femmes, femmes s’intéresse à Casanova. Trop casse-gueule. Il jette son dévolu sur l’empereur. «Je suis allé voir Marcel Gobineau, “mon ami, mon maître”, pour qu’il me conseille un livre facile sur Napoléon. Il m’a donné celui de Georges Bordonove et ma plume a été portée par quelque chose.»
Scepticisme général
Très vite Lama écrit une quarantaine de chansons, mises en musique par son complice de l’époque Yves Gilbert. Le thème se veut folklorique, joyeux, mélancolique et fidèle à la vie du Corse. Une farce historique qui a du mal à convaincre : les directeurs de théâtres traînent les pieds (le patron du Châtelet a finalement décliné), les producteurs sont sceptiques et les médiats dubitatifs. L’album sort en 1982 et se vend à 700.000 exemplaires, portés par le tube Marie la Polonaise. En tournée, Lama interprète ses chansons napoléoniennes avec des images de l’empereur en fond. Il monte finalement sa comédie musicale «avec la complicité de quelques-uns et contre l’avis de presque tout le monde», comme il l’indique dans Le Figaro du 23 août 1984. Il élit domicile à Marigny sur les conseils de Thierry Le Luron.
Quand le spectacle commence le 20 septembre 1984, Serge Lama peut jubiler : il y a six mois de réservation assurés. C’est un plébiscite. «Les gens venaient voir la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, les monuments de Paris et... une comédie musicale sur Napoléon», assurait Lama en 2023. La musique de Gilbert, la mise en scène de Jacques Rosny, la présence de 20 comédiens et le charisme du chanteur permettent à Napoléon de tenir le haut de l’affiche pendant 1500 représentations (pour plus d’un million de spectateurs). Un chiffre hallucinant.
Burlesque et cartoonesque
Lama n’offre pas seulement des images d’Épinal de la grande épopée du Corse. Il apporte sa vision lyrique et romantique, saisit la complexité du personnage, son rapport unique avec la destinée (que mettra en lumière trente ans plus tard Jean-Marie Rouart), sa relation avec les femmes, notamment Joséphine. Dans un tableau, il montre le génie de Napoléon, capable de dicter trois lettres en même temps : une au préfet, une à sa mère, une à sa maîtresse. Le tout avec sens de l’humour - que n’avait pas l’empereur. Les chansons recèlent d’aphorismes («L'apparence d'une couronne ou l'espérance d'un palais jettent dans vos bras le même homme. Le même qui vous combattait»), racontent l’Histoire par le petit bout de la lorgnette (À quarante ans), déplorent la solitude du pouvoir (Y a-t-il quelqu’un qui m’aime?), révèlent la crudité du personnage («Enfin tes lèvres que je baise. Enfin ton ventre que je cloue. Pardonne-moi ma polonaise, je suis affamé comme un loup»), mais aussi son sens de la raison d’État («Ah si j'avais un enfant d'elle, un enfant qui aurait mes ailes et mon bec, mais son ventre est sec»). Pendant près de deux heures trente, Lama (Bonaparte très convaincant avec sa coupe nuque longue, Napoléon plus laborieux) navigue entre le burlesque, le guignolesque et le cartoonesque.
Lama devient réac
La comédie musicale fut l'Austerlitz de Lama : un succès commercial fantastique avec des salles bourrées à craquer. Mais aussi son Waterloo intello, la gauche médiatique triomphante goûtant peu cet éloge impérial. Serge Lama fut un chanteur de droite et puis un réac’ - terme employé pour le qualifier jusqu’en 2013 ! La comédie musicale - la première à connaître un immense succès poussant Starmania à être remontée en 1988 - marque une rupture dans la carrière du chanteur qui ne connaîtra plus de tubes malgré une production prolifique de qualité.
Photo: Bridgeman Images
Il aurait pu jouer dix ans, il s’arrête en 1986. «J’étais enfermé dans ce personnage, je me suis dégagé à temps. C’est un personnage qui a une force mentale incroyable, il vous possède. Plus vous le jouez, plus il vous possède. C’est un piège terrible Napoléon», avouait-il en 2023. Disponible sur YouTube, Napoléon n’a rien perdu de sa modernité, au point qu’une reprise symphonique a eu lieu au Théâtre antique d’Orange en 2014. Un régal autant qu’une consécration. «La postérité décidera ce qu'elle pourra... Je pense que “Napoléon” ressurgira. J'en suis très fier, expliquait-il au Point en 2018. C'est tout de même une œuvre sous-estimée aujourd'hui, mais qui peut être revalorisée par un événement.» Les anniversaires sont souvent de belles piqûres de rappel.
21:38 Publié dans 2024, La presse des années 2020 | Lien permanent | Commentaires (0)
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