04.03.2016
4 Mars 2018:Le point
Serge Lama : « Balzac est le Depardieu de la littérature »
À LIVRES OUVERTS. Le chanteur, qui a fêté ses 75 ans, revient pour « Le Point » sur ses goûts littéraires et convoque Albert Camus, Alexandre Dumas et Mallarmé.
Propos recueillis par Florent Barraco« La littérature, c'est tout pour moi. Elle m'a tout appris : à écrire, à être curieux, à aimer. »Cette confession faite lors d'un récent entretien ne pouvait que nous pousser à creuser un peu plus loin les goûts littéraires de Serge Lama. Rendez-vous a donc été pris chez le chanteur. À peine arrivé à son domicile, le voilà parti dans la célébration de la Correspondance d'Albert Camus et Maria Casarès, un « ouvrage majeur », qui trône sur un guéridon. Camus, Balzac, Flaubert, Baudelaire, Melville sont convoqués par l'artiste de 75 ans qui, à sa manière (la chanson gaie, mélancolique ou triste), a su aussi manier les mots. Avec un regret : ne jamais avoir écrit un livre. Entretien avec un homme de paroles.
Le Point : Quel livre lisez-vous en ce moment ?
Serge Lama : La Correspondance inédite (1944-1959) entre Albrert Camus et Maria Casarès. C'est absolument fabuleux. Casarès possède une très jolie plume, il n'y a pas de lyrisme excessif. Quand elle décrit ses vacances en Bretagne, on a l'impression d'être avec elle, on voit et entend les vagues. Cette femme a une force de vie extraordinaire. Quant à Camus, il écrit avec simplicité. On sent que lorsqu'il pense une œuvre, c'est un travail colossal. Je le rapprocherais de Saint-Exupéry. Ce sont deux êtres remplis de désespoir et une richesse intérieure. Quand on lit Terre des hommes, on voit bien cet enchantement désespéré. J'ai relu Le Petit Prince. Si l'ouvrage s'adresse aux adultes, ça va. Mais si ce sont les enfants qui lisent ça, c'est grave. C'est tout de même un livre qui se termine par un suicide.
Quels genres littéraires appréciez-vous particulièrement et lesquels détestez-vous ?
J'aime la littérature dans sa globalité, même les polars (les San Antonio, par exemple, car Frédéric Dard est un auteur magistral). J'ai lu les 150 premières pages d'Ulysse de James Joyce, je n'ai pas pu terminer. Je donne toujours 100 pages à un livre pour me convaincre. Ce livre est le symbole de ce que je n'aime pas : on fait de la littérature pour gens qui font de la littérature. Je n'aime pas le Nouveau Roman, à part le premier roman de Michel Butor. Alain Robbe-Grillet, que j'ai rencontré dans une émission de télé, m'avait même confié qu'il avait suivi cette piste du Nouveau Roman, car c'est ce qui marchait.
Quel votre écrivain fétiche ?
C'est infernal comme question. Je dirais Albert Camus et ce n'est parce que je lis actuellement sa correspondance. Il a marqué mon adolescence et il me faisait du bien – contrairement à Sartre, qui me semble démodé. Comme je le disais, Camus a une force noire à l'extérieur et une force brillante et généreuse à l'intérieur. Ensuite, vous avez Flaubert (on sent le travail dans son écriture, mais c'est merveilleux), Stendhal (qui lui a une liberté d'écriture fulgurante), Hugo, bien sûr, et Dumas qu'on oublie très souvent – pourtant Vingt ans après est un chef-d'œuvre.
Quel livre vous a le plus chamboulé ?
Assurément Moby Dick. Selon moi, Herman Melville est le plus grand écrivain du monde – qui plus est quand on lit Pierre et les ambiguïtés. Moby Dick, c'est une Bible. Vous pouvez le lire à tout moment de votre vie. Il n'y a pas un ou deux niveaux de lecture, il y en a une dizaine. C'est magique. On présente ce livre comme un ouvrage pour enfants – à cause de la chasse à la baleine –, mais c'est plus profond que cela. Dans un autre registre, Les Liaisons dangereuses m'ont fasciné.
Le livre que vous relisez régulièrement ?
Je ne relis pas beaucoup de livres, je préfère découvrir de nouveaux ouvrages. J'ai terminé Les Portes de la perception, d'Aldous Huxley (auteur du Meilleur des mondes, NDLR), c'est mystique !
Houellebecq a un point commun avec Godard : il met des points sur des i que les gens ne voient pas
La confidence inavouable : quel classique vous est tombé des mains ?
Il y en a beaucoup. J'ai déjà mentionné Ulysse. Je pourrais dire aussi Les Travailleurs de la mer, de Victor Hugo qui penche du côté de Jules Verne. Belle du seigneur a failli être un de ceux-là, mais finalement j'ai été pris. J'étais au bord du gouffre, au bord de le lâcher, mais Albert Cohen m'a harponné.
Le classique que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Il y en a beaucoup. On a beau lire, on ne peut pas tout lire. Je dois avouer que je n'ai pas lu Sainte-Beuve.
Balzac ou Zola ?
Balzac. Émile Zola est tombé dans le piège de beaucoup d'auteurs : le système qu'il a mis en œuvre l'a broyé. Même si Nana, l'Argent ou Germinal sont des chefs-d'œuvre, beaucoup de ses livres sont démodés. Les gens qui ne lisent pas beaucoup garderont de Zola, c'est terrible à dire, son « J'accuse », un article de presse. Zola n'a pas la force de Balzac. Balzac, jusqu'à son nom : Honoré de Balzac, c'est un géant. Il y a un souffle incroyable. C'est le Depardieu de la littérature. Les Illusions perdues, c'est magistral. Il touche à tous les genres, il a épuisé sa vie avec de l'encre.
Quel est l'auteur contemporain que vous préférez ?
Je lis peu les auteurs contemporains, mais je dirais Houellebecq. Un peu comme tout le monde. Il parle des choses d'aujourd'hui.Quand son dernier bouquin (Soumission ,NDLR) a été détruit par les médias, je me suis demandé pourquoi. C'est un livre qui dit les choses. Certes, ce n'est pas un styliste, mais sa force n'est pas là. Il a un point commun avec Godard : il met des points sur des i que les gens ne voient pas. Si on devait résumer, Houellebecq est le Godard de la littérature.
Votre personnage de roman favori quand vous étiez enfant ?
Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers. Je trouve du tragique dans ce personnage. Je pense que Jules Vernes a d'ailleurs a été un auteur muselé avec des éditeurs qui le contraignait à écrire des romans d'aventures alors qu'il avait une part sombre en lui.
De quel personnage êtes-vous tombé amoureux ?
Valmont (Les Liaisons dangereuses, NDLR) pour des raisons qui ne sont pas tellement obscures (rires). Et le capitaine Achab (Moby Dick, NDLR). Il y a dans l'entêtement et la vengeance destructrice d'Achab quelque chose qui m'attire. Il n'y a pas de femme dans mon « panthéon », car la littérature est assez masculine : on trouve peu d'héroïnes féminines extraordinaires. On ne tombe pas amoureux d'Emma Bovary...
Finalement, tous les livres nous enseignent que nous ne sommes pas éternels et nous apprennent comment vivre avec ça
Vous avez écrit des textes érotiques parus dans un recueil Sentiment, sexe et solitude. Quel roman est le plus excitant ?
Quand j'étais jeune, tout m'excitait (rires). Quand je dis dans Les Ballons rouges, « Je lisais le marquis de Sade/Et j'aimais déjà les divans », ce n'est pas une invention. Les grands du lycée me le faisaient lire.
Lisez-vous en tournée ?
En tournée je ne peux rien faire, à part chanter. Je lis donc entre deux tournées ou deux enregistrements.
Quelle est la dernière chose importante que vous ayez apprise dans un livre ?
Finalement, tous les livres nous enseignent que nous ne sommes pas éternels et nous apprennent comment vivre avec ça.
L'œuvre d'Hugo contient tous les grands poètes : un poème, c'est du Verlaine, un autre c'est du Baudelaire. Il était tous les poètes en même temps
En 2012, vous avez sorti un album La Balade du poète. Aimez-vous la poésie ?
On ne peut pas vivre sans poésie. Ça se butine. Je lis par exemple en ce moment un ouvrage de Verlaine. Je prends ce que je veux, quand je veux. Victor Hugo en poète, il est extraordinaire. Gide avait raison quand il répondait à la question « Quel est le plus grand poète français ? » : « Victor Hugo, hélas. » L'œuvre d'Hugo contient tous les grands poètes : un poème, c'est du Verlaine, un autre c'est du Baudelaire. Il était tous les poètes en même temps.
Baudelaire ou Rimbaud ?
C'est Baudelaire, car c'est mon univers. Il m'a nourri. Rimbaud écrit : « Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! » Il a fait éclater la quille et est allé à la mer. C'est un révolutionnaire. J'aime le Rimbaud en vers. Je n'apprécie pas la poésie en liberté (rires).
Quel poème pourrait faire une belle chanson ?
Le Bateau ivre pourrait être une belle œuvre, très lyrique.
Quelle chanson peut être considérée comme une œuvre littéraire ?
Les chansons sont-elles des ouvres littéraires ? Ce serait assez prétentieux de dire que la plus belle chanson de tous les temps est au même niveau que, par exemple, ces vers de Mallarmé : « La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres/Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres/D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! » À choisir, je dirais « Le Temps » de Léo Ferré, « Sa Jeunesse » de Charles Aznavour et « La Chanson des vieux amants » de Jacques Brel.
Que comptez-vous lire prochainement ?
J'ai un paquet de livres qui m'ont été offerts à mon anniversaire (il montre une pile de livres). J'en ai pour un moment. Je déguste Le Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa. Je lis dix pages et j'arrête, car je ne veux pas me le gâcher. Dans cette pile, j'ai le Livre amoureux du soir, de Brigitte Kernel. Déjà, le titre donne très envie. J'ai aussi un ouvrage de Francis Jammes. Mais une chose est sûre : je vais souffrir quand j'aurai terminé la Correspondance entre Camus et Casarès. Je vais ressentir un grand vide.
10:15 Publié dans 2018, La presse des années 2010 | Lien permanent | Commentaires (0)
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