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01.11.2016

Novembre 2018:Fondation Ostad Elahi

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Dans cette série de 12 petites vidéos sur le site de la Fondation Ostad Elahi ,Serge Lama répond à quelques questions sur sa vision de l'éthique

 

La Fondation Ostad Elahi – éthique et solidarité humaine est une Fondation reconnue d’utilité publique créée par décret du Premier Ministre et du Ministre de l’Intérieur en date du 27 janvier 2000. Elle possède le Statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies. Le Conseil de l’Europe et l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne sont membres de droit de son Conseil d’administration. Son président et fondateur est M. Bahram Elahi, professeur émérite de chirurgie infantile.

 

 

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VIDEOS ICI

 

Quelle est votre définition de l’éthique ?

C’est se comporter de manière…, c’est avoir un comportement qu’on aimerait voir chez les autres. Il y a des gens qu’on aime bien, qu’on admire, qu’on apprécie parce que justement ils ont un certain comportement. Il y a des comportements qui font rêver, qui vous donnent envie, qui ont un sens, qui ont une morale aussi, et qui donc vous conduisent à vous conduire le moins mal possible. Au départ c’est comme ça, parce que c’est parti de la religion d’une certaine manière. À mon époque en tous cas.

Est-ce une éducation religieuse qui a formé votre éthique ?

Quand j’étais petit, la religion était encore très prégnante, j’allais à l’église, il y avait des fêtes religieuses, tout cela était quand même… Il y avait des choses qu’on ne disait pas, il y a des choses qu’on ne faisait pas, etc.  

J’ai eu la chance de ne pas connaître des mauvais prêtres. J’ai connu des prêtres qui étaient très sympathiques. Il y avait au Lycée Michelet, où j’ai fait mes études… enfin « j’ai fait mes études », c’est un mot que je ne devrais pas dire. Enfin, j’ai été au Lycée Michelet, et j’étais premier en catéchisme, parce qu’il y avait un cours de catéchisme, figurez-vous ! Et à cette époque, comme les Juifs aujourd’hui, et c’est ce que j’admire chez mes amis juifs, c’est qu’ils fêtent toutes leurs fêtes. Il y a Pessah, il y a Kippour… Ils fêtent toutes leurs fêtes, alors que nous, c’est même pas une question de pensée religieuse, c’est une question de repères. On est la fille aînée de l’Église, c’est comme ça, notre construction politique est bâtie là-dessus, alors voilà il y a Les Rameaux, il y a Pâques. Et c’était quelque part des rassemblements de famille, qu’on faisait. C’était très important, c’étaient des gens qui se voyaient, qui entretenaient l’amour et l’amitié, d’une certaine manière. Ce n’est pas une question de Jésus-Christ, de pensée ceci, cela, non, ça fait des appuis, voilà ! On ne sait plus pourquoi, mais ce n’est pas grave.  

L’absence d’éthique ne vient-elle pas d’une perte du sens profond de la vie ?

Oui, c’est certain et c’est aussi lié à la religion. Ça donnait un sens à la vie des gens, la religion. Ils n’étaient pas tous religieux, mais simplement ça leur donnait des repères et ces repères on ne les a pas remplacés. On les a remplacés par rien, on n’a rien mis à la place. Et elle tient comment la société française ? Regardez les Américains ! Il jure sur la Bible, le président de la République. Les peuples tiennent par quelque chose qui les dépasse. Si quelque chose ne les dépasse pas, s’ils ne le sentent pas, il y a quelque chose qui ne fonctionne plus.  

Avez-vous rencontré des personnes qui ont été une source d’inspiration pour votre éthique ?

J’ai eu un ami, pour lequel j’ai écrit une chanson qui s’appelle Mon ami, mon maître, qui était vraiment quelqu’un que j’admirais profondément et qui avait une éthique de vie qui était vraiment cadrée, et qui m’a aussi bien cadré dans mon adolescence. C’était un ami. Il était homosexuel et il m’a appris ce qui était justement la différence, parce qu’il recevait évidemment des amis qui étaient homosexuels. Pendant mon accident de voiture, c’est lui qui m’a accueilli chez lui. Je suis resté longtemps et donc je voyais plein d‘amis et on passait des soirées où on riait, et j’ai compris ce détournement qu’ont les homosexuels de tout, cette dérision permanente de tout, mais toujours … malgré tout, chez Marcel il y avait une éthique.  

Il était bon, il donnait à des œuvres, il y a des choses qu’il ne disait pas, même des choses que je sais qu’il ne me disait pas, à moi, parce qu’il savait que ce n’était pas bon pour moi. Il se tenait bien. S’il sortait, il mettait un costume, alors qu’il n’aimait pas les costumes, qu’il aimait être libre. Par politesse pour les gens il mettait un costume. C’est des bêtises, ce que je vous raconte, mais c’est des petits détails comme ça qui font une éthique globale et générale. Il était poli, il disait bonjour à tout le monde. Quand il était rue Clerc, c’était un personnage qui était connu. Il faisait rire toute la rue Clerc, il était aimé de partout . C’était un personnage hors du commun et j’ai essayé de rester dans ses traces.

Aujourd’hui, votre éthique est-elle d’inspiration sociale ou spirituelle ?

Avec l’âge je suis devenu mystique. Je l’étais déjà, parce que j’ai toujours dit très jeune que j’avais la tentation du monastère. Ma vie a fait que je ne suis pas dans un monastère, mais c’est tout comme. C’est quelque chose de très profond. Je crois dans une force. Je ne vais pas reprendre les mots de Mitterrand « Je crois dans les forces de l’esprit », parce qu’il s’y est pris très tard, mais c’est vrai qu’il y a des choses… Marcel, notamment, qui était voyant, et qui m’a raconté ma vie. Il m’a raconté ma vie, Marcel, à quatorze ans, il m’a raconté ma vie. Donc je me dis : « C’est quand même bizarre que ce soit possible ! » Et bien sûr, comme il était voyant, il y avait d’autres voyants qui venaient qui étaient des copines ou des copains à lui, et donc j’ai vécu dans ce monde un peu bizarre pour la plupart des gens, et il y a quand même quelque chose en moi qui s’est allumé, et qui s’est éteint un peu, un peu, c’était au fond, c’était dans un foyer. Mais pendant ma grande réussite des années 70-80, qui a été tellement forte qu’elle a emporté tout avec elle sur son passage, comme une armée emporte tout sur son passage – c’est ça la gloire, quelque part. Et c’est d’ailleurs terrible, la gloire. C’est une chose qui est assez épouvantable. Ce n’est pas qu’une chose positive. Il faut savoir la gérer. Donc au fond de moi une petite flamme a continué à briller, et d’ailleurs j’ai écrit, vers les années 90, je crois, une chanson qui s’appelait Femme adieu et qui disait : « Femme adieu, je suis tout à Dieu ». Et cela disait exactement ce que j’ai au fond de moi et que je n’arrive pas à exprimer. Ce n’est pas la religion catholique, ce n’est pas…, c’est une chose que je ressens.  

Votre écriture s’appuie-t-elle sur cette inspiration mystique ?

Certainement. J’ai changé mon écriture à partir de la fin des années 90. Vers 2000-2005, tous les disques que j’ai sortis ont été des disques dont l’écriture des textes était différente. Il y avait des choses plus lourdes, plus profondes, moins en surface que quand j’étais jeune, même si quand j’étais jeune j’ai quand même écrit Je suis malade, qui reste une chanson majeure, dont le texte est lourd et fort. Mais disons qu’après c’est devenu plus régulier. Bien sûr les gens connaissent moins ces disques que ceux de mes années florissantes, « les années Carpentier », comme on pourrait les appeler, mais ceux qui sont les vrais fans les connaissent et les aiment. D’abord je chante moins fort, je fais plus dans l’interprétation, dans le détail, je m’appuie sur l’auteur que je suis et je le laisse parler. Je ne laisse pas le chanteur prendre le pouvoir. Alors que dans les années 80, 70 c’était la folie, c’était le chanteur qui avait tous les droits. Alors je lui ai enlevé ces droits qu’il s’était octroyés à la fin des années 90 et je lui ai dit : « Maintenant tu vas te taire et tu vas laisser la place à quelqu’un d’autre !». Et ce quelqu’un d’autre il est comme ce que je vous ai dit. 

Lors des spectacles, sentez-vous également un lien qui vous relie à une transcendance ?

Il y a parfois une forme de transcendance. Tous les artistes vous le diront, d’ailleurs, même ceux qui ne se revendiquent pas « mystiques ». Il y a une forme de transcendance. Certains soirs on a l’impression qu’on est littéralement ailleurs, qu’on est dans un autre monde et c’est d’ailleurs merveilleux, parce que c’est un monde qu’on voudrait ne pas quitter, et qu’il faut redescendre sur terre. C’est cette quête qu’il faut avoir tous les soirs. Même si ça n’arrive pas à l’état de grâce tous les soirs, cette quête-là de la grâce il faut l’avoir tous les soirs. C’est ça que je veux dire et c’est une forme d’éthique pour moi.  

 

Quels traits de caractère éthique ont été déterminants pour vous ?

La loyauté, la générosité, vous avez dit les mots. La loyauté et la générosité ce sont des choses qu’on ne peut pas m’enlever, je le sais. Ce sont des choses que j’ai en moi, grâce à Marcel d’ailleurs, parce que c’est Marcel qui m’a conduit sur ce chemin-là. Je pense que je n’ai jamais été déloyal avec un partenaire, qui était aussi un concurrent. Je n’ai jamais fait des coups-bas. Je ne suis pas arrivé en faisant, comme certains l’ont fait, des choses ignobles. Je ne l’ai pas fait. J’ai une image que j’emploie parfois : vous savez dans le métro, à dix-huit heures on est serré comme des sardines. Quand vous êtes au fond et que vous arrivez à votre station, vous faites « Pardon, pardon ! », ou alors vous rentrez dedans, vous bousculez tout le monde et vous ouvrez la porte. Moi j’ai fait « Pardon, pardon, pardon ! » et je suis arrivé à sortir.  

Quelle est la place de l’humilité ?

L’humilité c’est de toute façon la base de tout. Si vous n’êtes pas humble, dans n’importe quelle religion d’ailleurs, ce n’est même pas la peine d’y penser. Si vous croyez une seconde que vous êtes quelque chose, que vous êtes quelqu’un, que vous êtes ceci, que vous êtes cela, c’est fini. Vous avez perdu la bataille. Non, il faut être humble ! Il y a une chose par exemple que je revendique. Pour mes soixante-dix ans j’ai fait un tour de chant qui a eu un succès considérable. J’aurais pu mettre les places à 120 ou 130 euros. Je l’ai refusé. Je l’ai refusé et ça pour moi c’est de l’éthique. Je sais que mon public est populaire, ce sont des braves gens et aussi des pauvres gens, et qu’au-delà de 75-80 euros, pour eux c’est très difficile. Alors pour moi c’est une forme d’éthique de dire « Non, je ne le ferai pas, je ne vais pas vider leur vie pour un tour de chant ». Il y a des gens qui vident leur vie, mais je ne veux pas faire ça. Je veux que ce soit normal. Je chante, je suis payé, c’est normal, mais je ne dois pas dépouiller les gens si je sens que je peux le faire. Non, ça c’est du vandalisme

Comment un artiste peut-il être altruiste ?

À partir du moment où on dit « mystique », on est obligé d’avoir un comportement qui va avec. Et le comportement qui va avec c’est justement l’éthique. C’est-à-dire aimer les gens, déjà, beaucoup. Déjà j’aimais les gens, je n’avais pas de haine en moi, sauf pour ma mère. Hélas, c’est un problème personnel qui n’est pas réglé encore, et là il y a pour moi quelque chose de très difficile à vivre. Mais à part ça je suis tout ouvert à tout et je pense que l’éthique c’est de continuer à être avec mon public ce que je suis, c'est-à-dire leur donner à la fois ce que je veux, et aussi ce qu’ils veulent. Essayer d’arriver à ce qu’ils soient heureux, parce que les gens demandent toujours plus, et ce petit plus il faut leur donner d’une façon ou d’une autre. Alors j’essaye. Mon éthique c’est qu’ils partent heureux comme quand les footballeurs gagnent et deviennent champion du monde. Il y a une folie, il y a une sorte de joie qui s’empare de tout le monde, qu’on ne voit jamais. On voit ça tous les quatre ans, et encore quand les Français gagnent. Alors là, je sais que quand je chante, pour mon public, j’essaye tous les soirs d’être champion du monde. J’ai cette notion en moi qui est importante, pour que les gens soient heureux. C’est mon but. Ce n’est plus mon but personnel pour ma gloriole ou mon ambition. C’est fini, ça. C’est pour eux, je vais vers eux et je veux leur donner quelque chose

Avez-vous le souvenir d’avoir vécu un dilemme d’ordre éthique ?

Vous savez, de toutes façons, des choix, même les gens qui sont derrière cette caméra le savent, des choix on en fait tout le temps et à partir de là il y a forcément quelque chose d’irrémédiable. On fait une interview, on a commencé depuis un quart d’heure, on est sur un sillon et une fois qu’on est sur ce sillon, c’est comme ça. Dans certains cas on est obligé – je parle des années 70, 80 –, on est obligé de faire certaines concessions pour arriver à montrer aux gens ce qu’on a de meilleur. Ce n’est pas simple. Parfois il faut chanter des choses qu’on ne veut pas chanter parce que ce n’est pas ce qu’on veut faire, mais on vous dit : « Si tu ne fais pas ça, tu ne peux pas faire ça ». Il arrive des choses comme ça dans ce métier. Parfois il est important de faire quand même des choses qu’on n’a pas envie de faire, pour pouvoir montrer une chose qu’on aime. Et ça je l’ai fait, oui ça m’est arrivé. 

Avez-vous été confronté à la jalousie de confrères et comment l’avez-vous géré ?

J’imagine que oui, mais je ne l’ai pas toujours su. C’était toujours des choses… Vous gênez toujours. À partir du moment où vous existez, vous gênez. Vous naissez, vous gênez déjà. Alors quelqu’un qui arrive et qui se met à vendre des millions de disques, fatalement il gêne. Alors il y a sûrement des collègues qui ont nourri à mon encontre des idées malfaisantes. Peut-être, peut-être, parce ça existe, hélas, c’est comme ça. Je ne vais pas dire de noms, mais à l’époque on faisait les Carpentier. Par exemple on faisait du direct, on commençait l’émission avec un artiste dont je ne dirai pas le nom. C’était donc très important, c’était le début de l’émission et il n’est pas venu. On peut dire qu’on était tous les deux en concurrence. Il n’est pas venu et donc je me suis retrouvé tout seul avec une chanson qui n’était pas la mienne. J’ai chanté un couplet, un morceau, quelques phrases sur une chaise et je me suis assis sur l’autre chaise et je chantais un peu en imitant la personne. Pour la suite de la chanson, je me rasseyais sur ma chaise et j’ai fait toute ma chanson comme ça. Pour vous dire un truc précis, c’est vrai que ça peut arriver.

La notoriété n’est-elle pas difficile à vivre quand on a une éthique forte ?

Ce qui est difficile, c’est de gérer la réussite, parce que ce qui est terrible dans la réussite, ce qu’on appelle la réussite, la gloire, c’est qu’elle vous arrive d’un seul coup. Vous êtes rien et tout d’un coup vous êtes tout. Des gens qui ne m’appelaient pas la veille m’appellent le lendemain pour me dire que je suis indispensable, que  sans moi ils ne peuvent pas faire l’émission, etc. J’ai vécu ça. Je suis devenu… on ne disait pas star, à l’époque, on disait vedette. C’était plus modeste et c’était plus juste. Je suis devenue vedette en un seul soir.  

À partir de là toutes les salles ont été bourrées jusqu’à la gueule pendant des années, des décennies même, une décennie et demie et je ne sais pas vous expliquer pourquoi ni comment. C’est comme ça que c’est arrivé et ça il faut le gérer et il faut gérer cette chose-là, parce que vous pouvez vous croire le roi du monde. C’est dur, quand tout le monde vous dit : « Vous êtes le plus beau, le plus ceci, le plus cela ». Il faut un certain sens de l’éthique pour se dire « non, je ne suis pas quand même le roi du monde. Je suis un chanteur qui a du succès, je suis un chanteur populaire, un chanteur célèbre » et essayer de remettre les choses dans leurs proportions. Ce qui a été le plus difficile, au bout du compte, c’était Napoléon, parce que Napoléon a été un triomphe inimaginable. J’aurais pu jouer dix ans Napoléon, mais je savais que si je continuais, j’ai été Napoléon et c’était fini. Alors j’ai arrêté au bout de trois ans, mais ça a été le triomphe. Là j’ai été une star. Pour moi messieurs, c’est là que je suis devenu une star Et là c’était encore pire, c’était incroyable. Il faut arriver à passer ces périodes, où on est déstabilisé, parce qu’on est des humains, on est déstabilisé par le pouvoir que ça vous donne, par la violence que ça génère. Il faut sortir de ça, et une fois que c’est arrêté tout ça, vous ébrouer longuement. Ce n’est pas facile du tout de sortir de ça.

Qu’est-ce qui vous a aidé à en sortir ?

Après Napoléon j’ai été sauvé par le théâtre. Françoise Dorin avait écrit une pièce qu’elle avait donnée à Jacqueline Maillan, qui avait eu beaucoup de succès. Elle s’appelait La Facture et au départ elle l’avait été écrite pour un homme. Le personnage était un joyeux drille - et les gens croyaient que c’était ça que j’étais à l’époque, ce que je ne suis pas du tout – et elle a pensé à moi. Donc, à partir de là les théâtres se sont ouverts. On a joué ça aux Bouffes Parisiens avec succès, on a fait une tournée avec succès. Et là j’ai appris la modestie, parce que les comédiens vous l’apprennent. Vous avez un metteur en scène, d’abord, qui vous dit « Non, ça c’est pas bon, faut pas le faire ! » « Ah bon c’est pas bon ? Je n’ai pas tous les droits ? Comment ça se fait ? » Parce que quand vous êtes seul, chanteur, vous croyez que vous avez tous les droits et vous les avez d’ailleurs. Et là il y a quelqu’un qui vous dit « Non ça c’est pas bien, ce geste est mauvais, t’assois pas là, tu te lèves là ! » et ça m’a appris beaucoup, et c’est là que j’ai compris… J’expliquais ça à Marion Sarraut tout à l’heure. C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je me mettre au service de l’auteur que j’étais et non plus que le chanteur prenne le pas dessus, que ce soit plus fort que l’interprète. Et à partir du moment où j’ai fait du théâtre et que j’ai compris ça, ma façon de chanter a changé et tout a été différent. J’ai respecté les chansons qui ne demandent pas toutes de faire de la voix, qui ne demandent pas toutes d’être chantées comme un air d’opéra, etc. Et ça a changé beaucoup de choses.  

Comment rendre la vie sociale plus éthique ?

Je dirais que l’éthique pour moi, je pense que je l’ai plutôt appliquée toute ma carrière et toute ma vie, même s’il y a eu des petits moments de saute à cause de tout ce que je vous ai expliqué. Mais ce que j’aimerais, c’est que la société bouge, c’est-à-dire que les choses changent, qu’on ne voie plus les choses d’une manière je dirais verticale, qu’on accepte des choses et qu’on s’en interdise d’autres.

Il faudrait des interdictions, on ne devrait pas avoir le droit d’avoir certains positionnements, même politiques… Parce qu’il y a un débat entre l’éthique et la liberté ; ça c’est le vrai débat : qu’est-ce que l’éthique ? qu’est-ce que la liberté ? Et là je dirais que la liberté se limite quand commence l’éthique. Là, il y a quelque chose qui ne va plus dans le monde actuel, que ce soit à la télé, que ce soit à la radio, que ce soit dans le comportement  général des gens et ne sais pas comment on pourrait reconstruire quelque chose qui s’est éteint, je pense à la fin des années 60, en 68, qui s’est éteint en 68. Comment peut-on rallumer ces gens qui se rallument comme un feu de paille le temps d’une grande fête, tout d’un coup tout le monde est dans les rues et puis, pof ! ça retombe ? Et, les Français, on retombe de nouveau dans quelque chose qui n’est pas bon. Ils ont la sensation d’être des perdants, d’être des vaincus. Il faut qu’ils cessent de porter tout le temps le poids de tout ce qu’il y a eu avant eux. Ce n’est pas eux, ceux qui sont là maintenant, qui ont colonisé malheureusement au 18e siècle, 17e, 16e. Ce n’est pas eux qui ont fait ça, ce n’est pas eux qui ont fait la Shoah, ce n’est pas eux qui ont perdu les guerres. Malheureusement ce sont les guerres qui étaient perdues d’avance. 

Alors il faudrait que quelqu’un de vaillant ramène cet esprit de corps, cette force qu’il faut insuffler à un peuple pour lui donner justement le sens de l’éthique et le désir même de l’éthique. Que le désir tout d’un coup lui vienne de lui-même, d’être différent. Voilà, c’est ça qui me préoccupe.  

Pensez-vous qu’il y a une différence d’approche de l’éthique entre les hommes et les femmes ?

Je pense que oui, il y a des différences entre les hommes et les femmes. Naturelles, déjà, et donc forcément il doit y avoir une différence dans la façon de voir les choses. Une femme est plus concrète, elle est plus terrienne, elle voit plus les choses réelles. Les hommes sont beaucoup dans l’artifice. Peut-être qu’on a besoin  justement de quelqu’un qui soit plus terrien, qui soit plus femme actuellement. 

Les femmes sont moins dans la quête de pouvoir que les hommes ?

Non, je ne pense pas. Je pense qu’elles aiment le pouvoir, enfin que certaines aiment le pouvoir, que certaines ne l’aiment pas. Comme les hommes : certains ne sont pas des hommes de pouvoir parce qu’ils n’ont pas envie de l’être. J’en connais qui ont refusé des postes, parce que ce sont des postes qu’ils ne voulaient pas avoir ; ce n’était pas leur nature et les femmes sont pareilles. Les femmes, je pense qu’elles se battent surtout pour avoir leur place qu’elles n’ont pas. C’est ça le problème : c’est que les femmes n’ont pas la place qu’elles devraient avoir, et justement en terme de pouvoir, et en terme aussi… ce n’est pas normal… puisque les féministes se battent maintenant depuis cinquante ans, et encore plus longtemps, depuis le début du siècle dernier. Elles se battent pour finalement obtenir des choses abstraites. Mais des choses concrètes, elles n’ont rien obtenu. Elles ne sont toujours pas payées autant que les hommes à poste égal. Tout ce qui compte vraiment et qui a les pieds sur terre, si j’ose dire, elles ne l’ont pas obtenu, les femmes. Et ça c’est scandaleux. Ce n’est pas normal.  

Vous constatez aussi une forme de sexisme dans le milieu de la chanson ?

Ah oui, sûrement ! oui, oui, sûrement ! Encore que là c’est un peu différent, parce qu’on peut s’enticher de quelqu’un dans le milieu de la chanson. Louane a beaucoup de succès par exemple actuellement, il y a un engouement autour de Louane, etc. Ce sont des choses qui peuvent arriver dans la chanson, qui arrivent peut-être moins. Il y a eu Dalida, même des femmes dans la chanson. Malgré tout nous ne sommes pas ceux qui ont eu le moins de femmes, mais c’est sûr qu’il y a plus d’hommes que de femmes, là aussi, même dans mon métier, qui n’est pas un métier, je tiens à le souligner. 

Comment pensez-vous qu’on peut motiver les jeunes à l’éthique ?

Je pense que c’est le tonneau des Danaïdes. Il faut prendre de petits gestes de chacun, faire des choses, essayer de faire comprendre à chacun, avec ses moyens, autour de soi, faire son travail d’éthique justement. Et des jeunes seront sauvés. Pas tous bien sûr, mais des jeunes seront sauvés. Et plus il y aura de jeunes qui seront sauvés, plus la société se reconstruira. Mais ça va se faire, comme dans la chanson de Brel, comme dans Les Bigotes, par petits tas, par petits pas. Je ne vois pas arriver quelqu’un qui donne ce que le peuple a je crois besoin d’avoir. Parce que nous, les chanteurs, quand je rentre tous les soirs, on sait ce qu’il faut leur donner. Et il n’y a pas de politique, pas un politique qui actuellement leur donne ce dont ils ont besoin. Ça peut arriver… !

Les gens ont besoin d’authenticité, ils sont désabusés par les mensonges permanents…

Bien sûr, ils ont besoin d’authenticité, de vérité. Ils ne croient plus en rien, ils ne croient plus ce que disent les hommes qui parlent, même les femmes qui parlent, parce que ce serait peut-être une solution d’avoir une femme, pour avoir quelque chose de neuf, au moins au niveau de la personnalité. Mais il ne faudrait pas qu’elle ait un discours politique. Il faudrait qu’elle ait un discours de mère. La mère, comme une mère qui viendrait au secours de la France. Ça ne peut passer que par là.  

Si vous aviez une seule chose à dire à votre petite-fille qui vient de naître…

À ma petite-fille je lui dirais : « Courage ! » Courage, parce qu’il en faut beaucoup pour vivre. Pas seulement pour réussir, pour vivre. Simplement pour vivre. Vivre est un effort permanent.  

Le mystique que vous êtes croit-il que la vie continue après la mort ?

Je pense que je crois à la réincarnation. Je pense qu’il y a des choses, des forces qui nous aident, des forces qui nous font du tort par moments, et qui se battent entre elles ; on appelle ça comme on veut. Et je crois que oui, il y a une sorte de continuité, que je ne saurais pas expliquer, mais que je ressens.  

Cela  vous donne-t-il une sérénité par rapport à ce destin qui nous attend tous ?

Non, non ! Quand l’heure viendra j’aurai peur, comme tout le monde, parce que c’est une chose qui est naturelle. On est des bêtes, des animaux humains et donc j’aurai peur. Mais ça n’empêche pas que j’aie des convictions et que ces convictions, je l’espère, l’emporteront à la fin.

 

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